Dans l'intimité des reines et des favorites
Soissons, et Malherbe dut composer un nouveau poème de quatorze strophes éplorées :
Que d’épines, Amour, accompagnent tes roses.
Que d’une aveugle erreur tu laisses toutes choses
À la merci du sort.
Qu’en tes prospérités à bon droit on soupire.
Et qu’il est malaisé de vivre en ton empire
Sans désirer la mort…
Après avoir pleuré pendant quelques jours, le roi se rendit en Picardie, bien décidé à revoir sa bien-aimée.
Pour commencer, il se mit une fausse barbe et rôda dans les bois de Muret [191] .
Son attente ayant été déçue, il alla demander à M. de Traigny, seigneur de la région, d’inviter à dîner le prince de Condé et sa femme.
Ainsi, put-il, le soir de la réception, se cacher derrière une tapisserie de la salle à manger et admirer Charlotte tout à son aise…
Mais cette « douce vision » ne lui suffisait pas, on s’en doute, et il imagina une extraordinaire équipée. On était la veille de la Saint-Hubert. Il fit préparer une meute et s’en fut le lendemain à l’aube dans la forêt de Traigny, avec un large emplâtre sur l’œil.
Vers dix heures du matin, la princesse de Condé, qui se promenait en carrosse, aperçut des chiens qu’elle ne connaissait pas.
— À qui est cet équipage ? demanda-t-elle.
— Au capitaine de la vénerie royale, lui répondit-on.
Elle se pencha pour admirer la meute et remarqua un curieux veneur, défiguré par un pansement, qui lui faisait des signes avec son œil unique. Intriguée, elle le regarda mieux et reconnut le roi.
Peut-être pensa-t-elle alors à se faire enlever par cet homme qu’elle nommait dans ses lettres « Mon tout » et « Mon cher chevalier ». Il eût suffi d’un geste pour qu’il se démasquât et dit : « Je suis le roi, suivez-moi ! »
Mais elle craignit sans doute une intervention regrettable de ses compagnons, tous amis du prince de Condé.
— Rentrons au château ! dit-elle simplement.
Une heure plus tard, alors qu’elle était au balcon du grand salon de M. de Traigny et regardait le paysage, elle ne put s’empêcher de sourire : Henri IV , toujours porteur de son emplâtre, se trouvait à la fenêtre d’un pavillon des communs et lui envoyait des baisers.
Condé fut naturellement informé de ces facéties. Redoutant une nouvelle attaque de la part du roi, il monta dans un carrosse avec Charlotte et partit se réfugier à Landrecies, en Belgique.
Le Béarnais, qui était rentré à Paris, jouait aux cartes dans son petit cabinet du Louvre lorsqu’on vint lui apprendre la fuite de Condé. Désemparé, il murmura à Bassompierre :
— Mon ami, je suis perdu. Cet homme a emmené sa femme dans un bois, et je ne sais si c’est pour la tuer ou la faire sortir du royaume. Prends garde à mon argent et entretiens mon jeu pendant que je m’en vas demander de plus particulières nouvelles.
Quand il sut que Condé et Charlotte étaient en Belgique, il fut d’abord pris de tremblements convulsifs, puis il appela tous ses ministres et, frappant son bureau de coups de poing, il cria :
— Je ferai la guerre à l’Espagne s’il le faut [192] , mais je retrouverai la princesse de Condé.
Ravaillac allait empêcher la réalisation de cet extravagant projet.
Tandis que le roi préparait déjà son plan de bataille, le marquis de Praslin entra en pourparlers avec l’archiduc Albert qui gouvernait les Pays-Bas.
— Je viens, lui dit-il, vous prier, au nom du roi de France, de faire arrêter le prince de Condé et de le faire reconduire à la frontière. Sa Majesté estime que, tant pour son contentement que pour le bien et avantage public, le prince doit rentrer en France avec son épouse.
Ce discours fit sourire l’archiduc qui savait quel genre de contentement le Béarnais voulait avoir de Charlotte.
— Je regrette, pour le bien et avantage du royaume de France, dit-il, l’œil ironique ; mais les droits de l’hospitalité sont sacrés !
Le soir, Condé était informé de cette démarche. Pris de panique, il pensa que le bon roi Henri allait peut-être essayer de le faire assassiner pour avoir la satisfaction de consoler sa veuve, et il partit précipitamment pour Cologne, afin de « se mettre sous la protection des vieilles libertés germaniques. »
Quatre jours plus tard, Charlotte quittait Landrecies à son tour et allait se réfugier à Bruxelles, chez sa belle-sœur, la princesse d’Orange [193] .
Alors Henri IV
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