Dans l'ombre de la reine
l’ordonnons pas, précisa Élisabeth. Le choix vous appartient. Voulez-vous un ou deux jours afin d’y songer ?
Non. Je préférais m’éloigner un peu de Matthew et j’avais besoin de cet argent. Je pensai aux robes, aux bonnets et aux souliers pour ma fille, et j’acceptai sur-le-champ.
CHAPITRE IV
Cumnor Place
Élisabeth avait le sentiment que mieux valait pour moi m’éloigner de Matthew, et je pensais de même. Néanmoins, je tenais à lui expliquer la raison de mon départ. Il m’avait courtisée et je ne l’avais pas repoussé ; je lui devais bien cette politesse. Arundel et lui seraient de retour le soir même ; alors, je le verrais, me disais-je.
Cependant, à la tombée de la nuit, je reçus un message de sa part, délivré par le page Will qui servait souvent de commissionnaire aux dames d’honneur. Malgré son air complice que je trouvai fort agaçant, je lui remis la gratification attendue, puis allai décacheter le pli en privé.
C’était une courte lettre d’excuses. Une affaire urgente, en rapport avec la réfection de sa demeure, l’obligeait à partir aussitôt ; au moment où je lirais ces mots, il serait loin. Il reviendrait dans une quinzaine de jours et espérait avoir alors le plaisir de me revoir. D’ici là, je ne quitterais pas ses pensées.
Je serais dans l’Oxfordshire bien avant que deux semaines fussent écoulées. Il ne me restait plus qu’à rédiger une réponse, qu’on lui remettrait à son retour.
Ma lettre le remerciait pour la sienne, expliquait que je partais, selon le désir de la reine, m’occuper de Lady Dudley qui était souffrante, et formulait l’espoir que son problème de réfection se réglerait à sa satisfaction. C’était un message agréable, poli, aux termes bien pesés. Pas une lettre d’amour, rien que quelques mots à un ami. Pour l’instant, je ne pouvais aller plus loin.
Dudley me remit une somme généreuse et m’annonça que des gentilshommes m’escorteraient tout le long du voyage. Lorsqu’on me les présenta, je reconnus le jeune homme blond au costume azur – il arborait du rose, cette fois – et son sobre compagnon, que j’avais remarqués le premier jour.
Je les savais apparentés à Dudley, à un certain degré. Ils venaient peu souvent à la cour, mais lui rendaient visite de temps à autre et repartaient chargés d’un message pour son épouse. L’homme mûr, Thomas Blount, était un cousin par alliance. Le blondinet, qui me salua d’une courbette extravagante en se déclarant mon éternel serviteur, s’avéra être Arthur Robsart, demi-frère de Lady Dudley.
En dépit de son élégance, il était venu, comme Blount, sans domestique. Ce détail singulier apparut alors que nous discutions ensemble de la composition du groupe. Robsart précisa qu’il résidait dans le Norfolk, et me sourit, sourcils levés, comme m’invitant à répondre.
— Ah oui ! dis-je d’un ton pénétré. Je crois savoir qu’au Norfolk, un arrêté interdit aux habitants du comté de voyager avec leur domesticité.
Arthur sourit. En un clin d’œil, le godelureau se transforma en un jeune homme sans rien d’efféminé et quelque peu malicieux.
— Certains coins de la région sont très rustiques, à mille lieues de la cour. La vie simple s’admire mieux loin des villes. Ma femme, Margaret, est native du Norfolk et a des goûts modestes. Moi aussi, à bien des égards. Je préfère voyager sans m’encombrer et je porte du satin rose à la cour uniquement parce que cela se fait. On doit se plier aux usages de l’endroit où l’on se trouve.
— Pour mieux les brocarder, ajouta Blount qui, malgré sa sévérité apparente, n’était pas dépourvu d’esprit.
— Exactement ! approuva Dudley. Arthur se gausse de la mode, dame Blanchard. Il porte des satins dont les tendres couleurs conviendraient à une fille d’honneur, façon détournée de railler nos jeunes coqs et nos freluquets. Pourrions-nous en revenir à notre affaire ? J’envoie l’un de mes serviteurs avec vous, car je veux avoir confirmation que vous êtes arrivés sains et saufs. Il se nomme Martin Bristow et connaît la route. Dame Blanchard, eu égard à votre rang, il convient que vous emmeniez votre femme de chambre. Sait-elle monter seule ? Dans le cas contraire, elle vous rejoindra par la suite. Les passagers en croupe ralentissent tout le groupe, or je veux que vous arriviez au plus vite.
À moins d’avancer à une cadence lente
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