Dans l'ombre de la reine
blanc se révélait d’une lenteur exaspérante. Cependant, nous avancions de notre mieux, et si maints cavaliers nous dépassaient, nous allions plus vite que les charrettes et les carrioles. Nous suivions des routes très fréquentées, débroussaillées de part et d’autre pour décourager les malandrins qui auraient pu se tapir dans des buissons.
Le matin de notre départ, il faisait grand soleil, et Arthur Robsart nous invita tous à chanter. Il avait une belle voix de ténor et quand, après une hésitation respectueuse, Martin Bristow y joignit la sienne, on découvrit en lui aussi un bon chanteur. Nous formions un groupe joyeux et, malgré notre allure peu remarquable, nous traversâmes Maidenhead le premier jour. Dans l’après-midi, messire Blount estima que nous atteindrions Wallingford à la tombée de la nuit. Nous aurions parcouru une bonne partie du voyage.
Toutefois, un ciel assombri et un grondement lointain indiquèrent l’approche de l’orage. Dale déclara aussitôt que s’il y avait une chose qu’elle ne pouvait souffrir, c’était bien le tonnerre.
— Une nouvelle addition à la liste ! répliquai-je, ironique.
Elle me fixa d’un regard lourd de reproches, que j’ignorai.
— Je ne connais pas les auberges, par ici. Bristow ?
Nous nous tournâmes tous vers le valet. Il était plein de ressources, un peu trop suffisant à mon goût, mais il se révélait déjà un guide efficace. Il savait dans quelles auberges on donnait du bon fourrage aux chevaux.
— Pouvons-nous trouver un abri dans ces environs ? s’enquit Arthur.
— Il y aurait bien Le Coq en pâte, deux cents toises plus loin, répondit Bristow. Un assez bon établissement, quoique modeste. Le tenancier ne vole pas ses clients.
— Je ne crois pas que cela me gênerait beaucoup, remarqua Arthur, qui lorgnait le ciel menaçant.
Nous filâmes devant l’orage, au petit galop. Le hongre léthargique de Dale se montra d’abord récalcitrant, mais Bristow le saisit par la bride et John fit claquer son fouet, ce qui le décida à obéir.
La pluie se mit à tomber comme nous arrivions à l’auberge. C’était une bâtisse un peu délabrée, à la cour creusée de fondrières et au chaume dégarni, mais très spacieuse. Une galerie au premier étage reliait les chambres, et une rangée de lucarnes ponctuait la toiture. L’aubergiste, qui nous accueillit sous le porche, silhouette corpulente ceinte d’un tablier blanc, reconnut immédiatement Bristow. Il s’enquit avec respect de la santé de Sir Robin Dudley, cria à un palefrenier d’aider nos serviteurs, puis nous entraîna vers ce qu’il appelait une salle privée.
Cela ressemblait davantage à un grand cellier, où nous nous entassâmes. Du moins était-il propre, avec des murs lambrissés et une cheminée. Le ciel était si noir que chacun distinguait à peine le visage des autres, mais le patron alluma des chandelles avant d’aller nous chercher de la nourriture et des boissons. Quelques instants plus tard, John apparut, chargé de deux sacoches de selle.
— Je préfère laisser nos affaires à l’intérieur, dame Blanchard, expliqua-t-il avant d’ajouter : J’aimerais vous dire un mot, si possible.
Nous sortîmes sous le porche, où une pluie battante transformait les fondrières en petites mares.
— Qu’y a-t-il ?
— Depuis hier soir, madame, je voulais vous parler en privé sans en trouver l’occasion. Je ne savais à qui m’adresser pour vous voir, dans ce grand palais, et après, sur la route, il y avait toujours quelqu’un à portée d’oreille. Dame Blanchard, sauf erreur, vous allez bien à la campagne, tenir compagnie à Lady Dudley, qui est souffrante ?
— Oui, John, c’est exact.
Je m’aperçus, pour la première fois, que je l’appelais John, comme Gerald autrefois. On appelait d’habitude les domestiques par leur nom de famille, mais pas John Wilton. Pour nous, il avait toujours été et resterait toujours John.
— Je vais un peu partout. J’entends les conversations sur les marchés. Et j’ai causé avec les garçons des écuries, à Richmond. Semblerait qu’y ait des rumeurs qui courent, disons, sur les Dudley.
— Il est vrai. Mais les gens exposés au regard public suscitent souvent la calomnie.
Un éclair illumina le ciel, suivi d’un coup de tonnerre, et la pluie redoubla soudain, comme libérée par la foudre. Les flaques trépidaient sous les gouttes et une odeur douce montait du
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