Dans l'ombre de la reine
existence !
« Et suppose, me disait une vilaine petite voix à l’intérieur de moi, oui, suppose qu’Amy ait raison, et que ce bouillon que tu as goûté aujourd’hui contienne du poison ? »
J’étais convaincue du contraire car, hormis ma migraine passagère, je me sentais parfaitement bien, mais il me semblait très possible qu’on eût tenté de l’assassiner auparavant et que le Dr Bayly eût effrayé le coupable. En ce cas, étions-nous à l’abri d’une nouvelle tentative ? J’espérais que les craintes d’Amy étaient infondées, mais comment en être sûre ?
Ainsi étendue, je pris conscience de la vétusté des murs qui m’entouraient. Des images défilèrent dans mon esprit, processions de moines encapuchonnés portant chandelles, en chemin pour leurs dévotions dans l’église toute proche. Dans mon imagination, ces capuchons menaçants dissimulaient des visages qu’il valait mieux ne pas contempler.
La nuit était chaude, et j’avais laissé les rideaux du baldaquin ouverts. La lumière de la lune tombait sur Dale, endormie sur le lit contre le mur. J’écoutais son souffle régulier, me réjouissant de sa présence réconfortante.
La lune éclairait aussi la porte de la chambre, son reflet jouant sur les gonds et la poignée en fer. En fait, je regardais dans cette direction quand la poignée bougea.
Je me redressai, le cœur battant la chamade. La porte s’ouvrit. Une silhouette, munie d’une chandelle comme mes moines imaginaires, entra sans bruit et ferma la porte derrière elle. Terrorisée, j’émis un petit cri étranglé et la silhouette se tourna vers moi en levant la chandelle.
— Chut ! Tout va bien. N’ayez pas peur, dit la voix d’Arthur.
Ma panique disparut, laissant place à la stupeur.
— Messire Robsart ? Mais que f… ?
— Chut !
Il s’approcha de moi à pas feutrés et posa le chandelier sur ma table de chevet. Il portait une robe de chambre brodée, nouée par une cordelière en soie qui luisait sous la lumière de la bougie.
Il s’assit alors au bord de mon lit. Mi-incrédule, mi-outrée, je le vis se pencher pour ôter ses pantoufles.
— Ne réveillons pas Dale, chuchota-t-il. Je moucherai la chandelle dans un moment. Nous tirerons les rideaux et je m’éclipserai avant l’aube. Elle ne se doutera jamais que j’étais ici. Je suppose que je suis le bienvenu ?
— Très certainement non ! Quand vous ai-je laissé accroire…
— Hier, au dîner. Vous resplendissiez, ma douce, comme une étoffe d’or au soleil. Il fallait être aveugle pour ne pas voir que vous soupiriez après un amant, mais messire de la Roche est reparti. Je m’en irai moi aussi, au matin, toutefois, cette nuit, je suis là. J’ai remarqué toute cette semaine que je ne vous étais pas indifférent. Je ne tenterais jamais de séduire une vierge, assura Arthur d’un ton vertueux. Ce serait tout à fait immoral. Mais vous qui fûtes mariée, ma belle, savez à quoi vous en tenir. J’étais sûr que, cette nuit, vous ne me renverriez pas.
— Vous vous êtes mépris ! Je suis veuve depuis peu et pleure encore mon mari. Aucun autre homme ne m’intéresse, mais dans le cas contraire, messire Robsart, ce n’est pas vous que j’aurais choisi ! Vous êtes marié ! Je vous prie de sortir sur-le-champ.
— Chut… Vous n’allez pas faire un esclandre ! Allons, ma douce.
Le jeune imbécile s’apprêtait à quitter sa robe de chambre. Il ne devait pas avoir grand-chose dessous.
— Dale ! m’écriai-je d’une voix perçante.
— Quoi ? Quoi ? Qu’y a-t-il, madame ? Oooh !
Elle s’assit sur son lit et fixa Arthur, stupéfaite.
— Chère Dale, dit-il, je ne doute pas que vous soyez une excellente femme de chambre, et digne de confiance, c’est-à-dire discrète, or la vertu mérite une récompense…
— Heureuse de vous l’entendre dire ! lançai-je d’un ton mordant.
— … Et je vous récompenserai avec joie en vous offrant un ange d’or 3 .
— J’en réclamerais plusieurs, Dale, à votre place, ripostai-je. Mais c’est moi qui vous les donnerai, pour que vous vous gardiez d’être discrète.
Avec l’assurance que me procuraient les fonds dont Dudley m’avait déjà pourvue, j’ajoutai à l’adresse d’Arthur :
— Si Dale estime qu’elle mérite une augmentation, elle n’a qu’à la demander. Allez-vous donc vous décider à partir, à la fin ?
— Mais pourquoi, ma belle ? persista Arthur,
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