Dans l'ombre de la reine
solidement que leurs vœux liaient les moines d’antan.
Je traversai le salon pour m’arrêter, comme si souvent, devant la fenêtre. Si seulement Matthew pouvait surgir sur son cheval ! Mais la cour restait déserte.
Dans le salon, juste derrière moi, Amy et Pinto étaient assises ; l’une tentait sans conviction de faire de la broderie, l’autre raccommodait un vêtement. Je n’avais accompli aucun progrès dans le cœur de Pinto. Elle redoutait toujours que je fusse l’âme damnée de Dudley et ses yeux soupçonneux m’épiaient sans relâche. Je continuais de goûter la nourriture d’Amy, et j’avais souvent l’impression que Pinto eût souhaité que quelqu’un l’empoisonne à mon intention. Elle aurait adoré me voir tomber, saisie de convulsions. Quant à Anthony Forster…
À cet instant, sa silhouette courte et carrée apparut sur le pas de sa porte. Il leva les yeux, me vit et me fit signe. Je me tournai vers Amy.
— Il semble que Mr. Forster me réclame, dans la cour. Dois-je descendre ?
— Oui ! Voyez de quoi il retourne.
Je m’attendais à cette réponse. Elle était intimidée par Forster et par sa belle-sœur, et s’efforçait de ne pas les mécontenter. Je me demandais parfois si Forster et Mrs. Odingsell entretenaient une relation plus intime, mais je pensais que non. Pour commencer, Mrs. Odingsell appartenait à la tendance rigide des protestants et on l’imaginait mal goûter l’acte de chair avec un époux, à plus forte raison avec un amant. Le prêtre de l’église voisine ne trouvait rien d’étrange à leur ménage et dînait très souvent chez eux. Forster jouait de l’orgue à l’église tous les dimanches.
Pour respectables qu’ils fussent à cet égard, je ne les jugeais pas moins odieux. Je ne croyais pas vraiment que la droite et recte Mrs. Odingsell complotât afin de tuer Amy – quoique j’eusse des doutes quant à Mr. Forster –, mais tous deux la rudoyaient de mille manières subtiles. Forster la privait d’argent. Leur habitude d’utiliser ses domestiques et d’encourager Mrs. Owen à en faire autant devenait peu à peu plus marquée, et plus insupportable. Forster (qui par sa pingrerie me rappelait Oncle Herbert) imposait une politique de restrictions dans son aile, et faisait exécuter le travail pour rien par le personnel d’Amy, elle-même trop timide pour affirmer ses droits et donner des ordres au sien.
Ces temps derniers, Mrs. Odingsell et lui s’attaquaient même à moi. J’avais ma femme de chambre et mon valet, j’étais toujours dame d’honneur de la reine, pourtant j’avais été appelée à plusieurs reprises dans l’aile de Forster, alors qu’Amy avait besoin de moi, pour aider à dresser la table ou à retourner un matelas. John se voyait réquisitionné comme homme à tout faire. Cela ne lui plaisait pas, et il s’en était plaint à Forster, en pure perte. Pour le régisseur, ces mesures d’économie domestique relevaient du simple bon sens. « Que veut-il encore ? » me demandai-je avec contrariété.
Cette fois, on n’avait pas besoin de moi pour mettre le couvert.
— Ah, Mrs. Blanchard ! s’exclama-t-il lorsque je le rejoignis. Mr. Hyde est là. Il a passé toute la matinée en ma compagnie et il souhaite maintenant présenter ses hommages à Lady Dudley. Peut-elle le recevoir ?
Mr. Hyde. Tout en empêchant d’une main un vent capricieux de soulever mes jupons et, de l’autre, d’emporter mon bonnet, je refrénais une furieuse envie de hurler.
Thomas Blount, Arthur Robsart et Matthew de la Roche étaient partis, néanmoins nous ne manquions pas tout à fait de visiteurs. Mr. Hyde, le beau-frère de Forster, était un autre des parents par alliance qui semblaient tenir chez lui une place généralement réservée à la proche famille. Il résidait à Abingdon et était venu à Cumnor plusieurs fois le mois passé. Il rendait visite à Forster, mais ne manquait jamais de « présenter ses hommages » à Lady Dudley. Son idée de la politesse faisait de lui un homme dangereux.
En fait, Mr. Hyde était un sot tout de rondeur et d’affabilité, qui croyait dur comme fer que rien n’était plus salutaire à un malade qu’un potin croustillant. Un jour, il nous rapporta une nouvelle sinistre : une femme d’Abingdon étant décédée de façon subite, l’époux avait été arrêté, car on le soupçonnait de l’avoir empoisonnée. Un voisin l’avait vu embrasser une femme
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