Dans l'ombre de la reine
qui eut néanmoins la décence de resserrer sa cordelière. Où est le mal ? Vous n’avez pas à vous soucier de ma femme, je vous assure. Elle n’en saura rien.
— À moins que vous ne partiez à l’instant, je me ferai un devoir de tout lui apprendre. Dieu du ciel ! Vous conduisez-vous souvent ainsi ? Combien d’enfants illégitimes avez-vous engendrés ?
— Aucun, que je sache. Je prends mes précautions, affirma l’insolent. Mais même si je vous engrossais, vous n’auriez pas à vous inquiéter…
— Cela m’inquiète d’autant moins que la question ne se pose pas !
— Vous savez que je suis le demi-frère d’Amy ?
— Certes, mais en quoi… ?
— Né du mauvais lit, expliqua Arthur d’un ton enjoué. Son père n’était pas marié avec ma mère. Toutefois, il me reconnut, assura mon éducation et me donna son nom. Je ferais de même si j’avais un enfant. N’ayez crainte.
— Messire Robsart, écoutez-moi bien : je ne veux pas d’une liaison avec vous.
— Voici quelques jours, vous admettiez que je vous manquerais. Toute la semaine, j’ai ressenti une certitude grandissante…
— Vous étiez un compagnon amusant, rien de plus. Maintenant, sortez. Sinon, je hurlerai de toutes mes forces, je réveillerai toute la maison et je ne crois pas que Lady Dudley appréciera ce qui se passe sous son toit. Cela risquerait au contraire de lui faire du mal, ajoutai-je, utilisant sans vergogne ce moyen de pression.
— Bon, très bien, céda Arthur, chaussant ses pantoufles avant d’ajouter, philosophe : Ça valait la peine d’essayer. On ne peut pas gagner à tous les coups.
— Oh ! Vraiment !
— Vous ne comprenez rien à vos propres sentiments. Veuve depuis peu ou non, vous avez envie d’un amant. Que s’est-il passé, entre de la Roche et vous ?
— De quoi parlez-vous ?
— Ce gentilhomme venait vous courtiser, non ? Il n’en faisait pas mystère. Et il vous plaisait, je l’ai vu à ce dîner, toutefois quand il est parti, j’ai cru m’être trompé. Mais je ne me trompais pas. Vous voulez un homme, cela crève les yeux, et si ce n’est pas moi, alors c’est de la Roche. Pourquoi l’avez-vous laissé partir ?
Arthur prit sa chandelle, traversa la chambre d’un pas nonchalant, puis agita les doigts en un au revoir impertinent avant de fermer la porte.
— Madame ! souffla Dale d’une voix atterrée.
— Je sais. Quelle outrecuidance ! Poussez le verrou, Dale, voulez-vous ?
Je ne dormis pas du tout cette nuit-là. Je gardai les yeux ouverts pendant que les heures s’égrenaient, souffrant de savoir qu’Arthur avait raison. Je discernais la vérité, à présent. Je désirais Matthew. Quand il était près de moi, je tremblais jusqu’au tréfonds.
Il n’existe pas d’explication logique au fait qu’une silhouette, des rides, aux coins des yeux, creusées par le sourire, ou le timbre d’une voix puissent chavirer les sens. Il avait un menton allongé et un nez fort ; ses yeux étaient sombres et étroits, son corps dégingandé et sa voix profonde. Tous ces traits, combinés ensemble, donnaient Matthew, Matthew, Matthew. Mon corps impatient et mon cœur affamé me criaient d’oublier la religion, Gerald et Amy Dudley, et d’épouser Matthew sans tarder.
Mais il s’en était allé je ne savais où. Il avait dit qu’il reviendrait sans préciser quand. En dépit de ses protestations, il pouvait en rencontrer une autre ou changer d’avis. Sortir de ma vie comme Arthur à l’instant.
J’avais eu ma chance. Il se pouvait fort bien que je l’aie laissée passer.
CHAPITRE VI
L’odeur du danger
« Je suis à Cumnor Place depuis cinq longues semaines, pensai-je. Amy est toujours aussi nerveuse et je ne suis pas plus près qu’avant de découvrir la vérité. Ses terreurs sont-elles fondées ? Je l’ignore. Oh ! Comme j’aimerais avoir des nouvelles de Matthew ! »
Cela faisait un mois qu’il était parti, imité par Thomas Blount et par Arthur Robsart le lendemain matin. Depuis, il n’avait plus donné signe de vie. Je n’avais reçu ni lettre ni message et je me morfondais. Je ne pouvais retourner à la cour afin d’apprendre ce qu’il était devenu. Jamais je ne quittais Cumnor, pas même le temps d’une brève promenade autour de la ferme du domaine. Amy avait trop besoin de moi. Le devoir et la compassion (sans oublier la volonté de mériter mes appointements) me retenaient entre ces murs aussi
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