Dans l'ombre de la reine
attention sur Peter Holme, juste après m’avoir rappelé qu’il n’y avait pas de fumée sans feu.
Au nom de mon affection pour Amy, je ne devais rien considérer comme allant de soi, ni me fier à quiconque. « Observez tout ce qui se passe dans cette maison », avait dit l’ambassadeur. Il avait vu juste. C’était une manière de la protéger, au même titre que goûter sa nourriture. Elle voulait savoir ce qui se passait, dans l’autre aile, entre Verney, Holme et Forster ; et ce pouvait être à bon droit. Par conséquent, mon devoir m’imposait de le découvrir. C’était aussi simple que cela.
Du moins en théorie car je ne voyais pas, ma vie dût-elle en dépendre, comment y parvenir.
Midi vint. Amy prit son repas dans sa chambre et, après avoir accompli mon service de goûteuse, je laissai Pinto auprès d’elle pendant que je descendais dans la salle à manger pour déjeuner avec Dale. Bien qu’elle fût à la même table que moi, Dale connaissait sa place et ne m’adressa pas la parole, ce qui était aussi bien car j’essayais toujours de mettre de l’ordre dans mes pensées.
Mes idées étaient confuses. En vérité, je savais que je ne voulais jouer aucun rôle dans tout cela, que j’aurais mille fois préféré être ailleurs, à la cour ou dans la chaumière du Sussex avec Meg et Bridget. Je me languissais de ma fillette, et Gerald me manquait… Pourtant, quand je cherchais ses traits dans ma mémoire, je ne trouvais que ceux de Matthew. Je désirais Matthew plus que tout. « J’aurais dû me fier à mon instinct, me disais-je. J’aurais accepté de l’épouser et quitté Cumnor avec lui. » Mais en même temps, une autre partie de mon esprit continuait à se demander comment – oui, comment ? – exécuter l’ordre d’Amy.
L’après-midi était calme. J’étais assise dans le salon, en compagnie de Dale, brodant les manches de soie blanche que j’avais confectionnées. Quand, enfin, des aboiements, des caquètements et l’écho de sabots annoncèrent le retour de Forster, je descendis à sa rencontre.
Si je lui annonçais la première qu’il avait des visiteurs, une réflexion révélatrice lui échapperait peut-être. Mrs. Odingsell, cependant, me précéda dans la cour.
— … Ils ont passé l’après-midi à flâner autour de la ferme, mais ils sont dans leur chambre à présent. Voulez-vous qu’on les prie de descendre au salon ?
— Puis-je me rendre utile ? m’enquis-je obligeamment en m’approchant de Mrs. Odingsell. Je pourrais aller les chercher.
— Non, pas encore ! répliqua Forster, qui semblait irrité.
Il descendit de son cheval, que Roger Brockley, le palefrenier impassible, attendait de mener à l’écurie. Brockley, quoique peu souriant, était en réalité un des meilleurs éléments de Cumnor en raison de sa compétence.
— Je suis couvert de poussière après cette chevauchée, reprit Forster. Je vais me laver et me changer. Dites à Ellis de préparer un souper pour trois à l’heure habituelle, dans la petite salle à manger. Nous souhaiterons discuter en privé, si vous voulez bien nous excuser.
— Naturellement, acquiesça Mrs. Odingsell, très digne. J’avertirai Ellis. Merci de proposer votre aide, Ursula, mais c’est inutile cette fois-ci.
Ils rentrèrent et je retournai à pas lents dans le salon d’Amy. Dale cousait encore. Au-dehors, les nuages s’amoncelaient et elle remarqua que le ciel devenait sombre.
— Il va tomber des cordes dans une minute. J’espère bien qu’il n’y aura pas de tonnerre. Je ne peux pas…
— Souffrir le tonnerre, achevai-je d’un air absent.
J’observais la partie du bâtiment dévolue à Forster, de l’autre côté de la cour. Je savais où se trouvait la petite salle à manger. De mon poste, je distinguais ses quatre fenêtres identiques, placées à intervalles réguliers. Elle était située au premier, au-dessus du toit pentu du cloître, mais je me voyais mal grimper là-haut et m’y accroupir pour espionner. Je ne pouvais pas non plus coller l’oreille contre la porte à l’intérieur de la maison, alors qu’Ellis et les servantes apporteraient les plats ou de nouveaux flacons de vin. À cette idée ridicule, je faillis pouffer de rire. Puis une image se dessina dans mon esprit – l’intérieur de la pièce. J’y avais dressé la table, à l’occasion.
— Dale, j’ai une tâche à accomplir pour Lady Dudley. Dites aux cuisines que l’on me
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