Dans l'ombre de la reine
tout mon poids au trot.
Nous enquêtions depuis deux jours, cherchant le long des routes des traces de notre groupe insaisissable. Nous nous étions renseignés dans deux relais de poste, quatre tavernes de village, six fermes, trois maréchaleries – au cas où l’un de leurs chevaux aurait perdu un fer – et environ deux douzaines de chaumières. Trop de temps avait passé ; personne ne se souvenait plus d’eux, excepté une vieille aux propos incohérents.
Nous avions tiré à pile ou face pour voir sur quelle route nous entamerions notre chasse, et commençâmes donc par celle du nord. N’ayant rien trouvé pendant deux lieues, nous passâmes la nuit dans une auberge, achetâmes un repas froid pour midi, puis rebroussâmes chemin jusqu’à la route de Windsor. Nous n’avions pas rencontré plus de succès l’après-midi, quand nous entrâmes dans le hameau que nous venions maintenant de laisser derrière nous. Un groupe de villageoises était engagé dans une vive altercation.
Au centre de cette dispute se trouvait une vieille mégère au menton en galoche et au bonnet crasseux. Elle se tenait sur le pas d’une chaumine décrépite, criant et agitant son fuseau d’où retombait un fil de laine cassé. Une femme plus jeune et beaucoup plus soignée, les joues rouges de colère, était plantée devant elle les poings sur les hanches, et criait tout aussi fort. Les autres les observaient, captivées.
Faisant halte à quelque distance, nous avions pu comprendre la raison de ce tumulte. La plus jeune se plaignait que la vieille ne faisait que filer devant sa porte à longueur de journée pour espionner les autres et répandre des ragots.
— Oui, ma Peggy se promène avec le jeune Walter Rigden ! Nous le savons, tout comme le père de Walter, et ces deux-là se marieront au printemps prochain. Alors, à l’avenir, ferme ton caquet et garde tes sales idées pour toi, la vieille !
— T’avise pas de m’insulter ! Oh ça, je veux bien croire que tu t’inquiètes pas des bêtises de ta Peggy ! Y a qu’à voir ce que, toi, tu faisais au même âge, Milly Mogridge. Pas la peine de prendre tes grands airs ! Telle mère, telle fille…
— Comment as-tu l’audace, espèce de…
— L’audace de dire la vérité ? Oui, la vérité vraie ! Et encore, je raconte pas la moitié de tout ce que je sais !… J’ignore pas grand-chose de ce qui se passe par ici, et si je voulais…
Quelqu’un dans la foule gronda : « Maudite sorcière ! » La vieille se tourna en direction de la voix.
— Qui a dit ça ?
Plusieurs femmes reculèrent, mal à l’aise, et l’une esquissa un signe contre le mauvais œil.
Brockley éperonna sa monture et alla s’interposer entre elles.
— Excusez-moi, bonnes dames !
Il ôta son bonnet et adressa un sourire à la ronde. Je l’observai, sidérée qu’il soit capable de se montrer aussi avenant. Je remarquai soudain qu’il avait beaucoup de charme. Le groupe avait reporté son attention sur lui. La mère indignée de cette Peggy trop ardente avait décroisé ses bras et le contemplait avec intérêt. Et en dépit de son grand âge, la mégère souriait de sa bouche édentée.
— Mes bonnes dames, déclara Brockley, il se pourrait que vous soyez à même de nous aider, surtout vous, qui êtes dotée de si grands pouvoirs d’observation, ajouta-t-il en s’inclinant devant la mégère. Nous sommes navrés de cette intrusion, mais dame Blanchard, dont j’ai l’honneur d’être le serviteur, mène une entreprise d’importance capitale. Voici environ trois semaines, auriez-vous vu par hasard passer trois cavaliers, l’un sur un beau cheval pie et un autre aux cheveux brun-roux ?
Fait étonnant, la mégère les avait vus, mais deux samedis plus tôt, et non trois semaines auparavant.
Brockley la remercia et je lui remis une pièce d’argent, qu’il pressa dans la paume de la vieille. Il lui parla avec douceur et elle lui dit quelque chose en retour. Il se tourna vers les autres.
— Son époux est mort et elle n’a pas d’enfant pour la soutenir dans ses vieux jours. Vous qui êtes ses voisines, vous le savez sûrement. Essayez d’être bonnes envers elle, et plus de sornettes au sujet de sorcières ! Elle se sent bien seule.
Tandis que nous poursuivions notre route, Brockley soupira :
— J’espère que mes paroles auront de l’effet, mais j’en doute. Cette vieille femme me rappelle ma mère.
— Votre
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