Dans l'ombre de la reine
protéger le donjon, représenté par messire Léonard Mason. Celui-ci se préoccupait de livres, de langages et de sciences abstruses à l’exclusion de tout le reste. D’après les remarques échappées à son épouse et mes propres constatations, il préférait se tenir aussi éloigné que possible de toute question d’intendance. Il passait le plus clair de son temps barricadé dans son étude, entouré de ses livres et de ses dessins. S’il avait besoin d’exercice, il se promenait seul, à pied ou à cheval, et mangeait souvent sur son bureau.
Comment s’étonner, dès lors, que dame Mason parût débordée et le domaine négligé ? On exigeait d’elle l’impossible. Le meilleur fertilisant, pour n’importe quelle terre, est le regard de son propriétaire. Les cultures dépérissent vite sans les soins attentifs du fermier.
Bien qu’ayant beaucoup appris sur Lockhill et les Mason, je ne découvris rien d’autre. Je lançai mes appâts, mais le poisson ne mordit pas. Ann Mason ne dit mot concernant de précédents invités. Je m’enquis nommément de Will Johnson, prétendant qu’il avait été ami avec mon mari et qu’il était passé peu avant dans la région avec un compagnon monté sur un pie-fauve : elle resta de marbre. Je demandai si les visiteurs inattendus étaient fréquents et elle répondit par la négative. J’étais à court d’idées.
Je me sentais très mal à l’aise. Le maréchal-ferrant avait fourni des détails précis : un groupe de trois hommes, dont l’un aux cheveux brun tirant sur le roux, et un autre montant un pie superbe, était venu dans cette maison. Il avait pu se tromper. Peut-être avaient-ils suivi un autre chemin et étaient-ils passés devant le manoir. En ce cas, ils n’allaient pas en direction de Windsor. J’aurais voulu consulter une carte.
Le souper fut merveilleusement calme, du fait que les enfants avaient pris le leur plus tôt (je les avais entendus manger dans leur propre chambre, frissonnant de la façon dont ils se tenaient à table). Léonard Mason se joignit à nous, ne rompant son habitude que par politesse envers moi. Je m’enquis à nouveau des « amis de mon époux », exprimant ma surprise qu’ils ne se fussent pas arrêtés ici, et reçus la même réponse négative.
Mason montra pourtant de l’intérêt pour une autre branche de ma famille. Il me demanda mon nom de jeune fille et, apprenant que j’étais une Faldene, m’apprit qu’il avait rencontré mon oncle Herbert à Londres.
— Même un reclus comme moi doit parfois sortir de sa tanière pour vendre de la laine. Je marchandais le prix de mes peaux de mouton et votre oncle en faisait autant. J’ai découvert que nous possédions des parts sur le même navire marchand. En fait, nous avons un certain nombre de choses en commun, conclut-il en me contemplant, dubitatif.
Ce fut Ann Mason qui lâcha, d’une voix à la fois chaleureuse et timide :
— La famille Faldene a conservé sa loyauté envers l’ancienne religion. Peut-être dame Blanchard partage-t-elle ce sentiment.
Elle rougit sous le froncement de sourcils de son mari, mais ajouta avec courage :
— Il n’y a rien de mal. Nous n’en faisons pas mystère, après tout. Si dame Blanchard fait partie des nôtres, nous devrions lui réserver un bon accueil. Ne vous posiez-vous pas cette question à l’instant ?
Ann Mason était de ces personnes douces qui se montrent d’airain lorsqu’il s’agit de leurs convictions intimes.
— Si, je l’avoue, quoique j’eusse pour ma part abordé ce sujet avec plus de prudence. Eh bien, dame Blanchard ? Qu’en pensez-vous ?
— Je suis le rite anglican.
J’hésitai. Je désirais avec ferveur que les Mason m’accordent leur confiance et me parlent sans contrainte.
— La loi est la loi, ajoutai-je, cependant je dois admettre que l’ancienne messe me manque. C’est la foi dans laquelle j’ai grandi, après tout.
Les mots que je m’apprêtais à dire me coûtaient, néanmoins je me forçai à les prononcer.
— Je crois que mon oncle et ma tante continuent à l’entendre. Comme je les comprends !
— Vrai ? Ce sont là vos sentiments ? répondit Mason, qui me proposa, après une ultime hésitation : Si vous souhaitez réellement entendre une messe… Je paie une amende régulière pour éviter d’assister au service anglican. Jusqu’à présent, nul ne m’a interrogé sur mes pratiques religieuses au sein de mon foyer. Le
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