Dans l'ombre de la reine
de bandits gentilshommes. Ce genre d’individus s’accordait mal avec les Westley.
L’idée qui prenait vaguement forme dans mon esprit m’était désagréable. Je l’affrontai enfin. Si ce n’était des voleurs, qu’étaient-ils, alors ? Quelle que fût leur mystérieuse affaire à Springwood, ne pouvait-elle, à l’insu des Westley, avoir un lien avec leur crime ? Avait-on dérobé l’argent de John afin que le vol parût l’unique motivation ?
Les Westley avaient préféré taire cette visite. Était-ce par compassion envers le blessé, de crainte qu’il n’eût des ennuis ? Je m’étonnai qu’ils n’eussent pas fait jurer le secret à leurs serviteurs. Lane en avait parlé ouvertement à Brockley en présence d’un autre palefrenier, qui n’avait pas protesté.
Peut-être était-ce une preuve d’intelligence. En imposant le secret à des serviteurs, on risquait d’éveiller leur curiosité. Edward et Kate avaient-ils jugé préférable que la venue du blessé et de ses amis se fonde dans la routine du quotidien ? Ainsi, on les oublierait plus vite…
À ce stade, je confiai mes réflexions aux autres, qui approuvèrent mes conclusions. Cependant, aucun de nous ne pouvait aller plus loin avant d’en savoir davantage.
Nous posâmes nombre de questions, ce jour-là. Nous fîmes halte dans d’autres tavernes, chez d’autres forgerons, pour demander si l’on avait vu récemment un groupe de gentilshommes, dont l’un avait un magnifique cheval pie. Nous nous améliorions avec le temps, et avions échafaudé une histoire convaincante d’amis passés par là avant nous.
Nous frappâmes aussi à deux manoirs, sous prétexte que nous nous étions perdus en cherchant un raccourci. Là, la prudence s’imposait. Les trois hommes pouvaient être connus dans ces grandes demeures, voire y posséder des complices disposant du moyen de les avertir que nous les traquions.
— Si vraiment ils s’en sont pris à John, c’est qu’il ne fait pas bon ennuyer ces gens-là, déclara Brockley, exprimant le fond de ma pensée à la perfection.
La journée fut infructueuse. Sur cette route animée passaient des voyageurs à pied, à cheval, en chariot ou en charrette, et nul ne se rappelait un groupe particulier de cavaliers. Dans le premier des deux manoirs régnait une véritable effervescence, et quand je demandai à la jeune maîtresse de maison si elle avait beaucoup de visiteurs inattendus (« La route de Windsor passant si près, je suppose que vous en voyez un flot permanent ! »), elle répondit de but en blanc qu’elle ne les encourageait pas ; cela interrompait ce qu’on avait à faire. Elle ne comprenait pas que nous nous fussions égarés ; la route de Windsor, c’était juste celle-là, de l’autre côté des champs ; on voyait d’ici les chariots passer, et nous pouvions avoir chacun une tasse de lait fermenté si nous le désirions, mais il fallait l’excuser, elle était très occupée.
Le second manoir était habité par un vieillard perclus de rhumatismes qui vivait seul avec ses domestiques, étant veuf et sans enfant. Dès qu’il nous entendit arriver, il cria à son majordome de nous conduire à lui. Il était enchanté de notre présence et nous n’eûmes point besoin de l’interroger ; à peine avions-nous franchi le seuil qu’il nous disait son plaisir de voir des visages nouveaux ; il n’avait pas eu de visiteur depuis au moins trois mois. Il martela le sol à l’aide de sa canne pour rappeler le majordome et réclama du vin, du poulet froid et du pain frais. Le pain était mangeable, quoique fait d’une farine grossière, mais le vin était aigrelet et le poulet mal cuit.
— Pauvre vieux ! dit Brockley quand nous nous fûmes échappés non sans difficulté. Non seulement il est solitaire, mais il doit souffrir de constants maux d’estomac. Je plains nos amis s’ils ont séjourné ici. Seulement, madame, je ne pense pas qu’ils aient été hébergés dans l’un ou l’autre de ces manoirs.
Nous passâmes la nuit dans une confortable auberge de village, puis, au matin, nous nous dirigeâmes vers le groupe suivant de belles cheminées en brique que nous distinguions au milieu des champs ondoyants et des bois. Un chemin nous conduisit dans la bonne direction et un petit berger, qui menait ses moutons dans un champ adjacent, nous apprit que c’était le manoir de Lockhill.
Nous arrivâmes dans un autre village avant d’atteindre Lockhill. Il se
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