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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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Bastille.
    — C’est ça. On s’était tous donné rendez-vous place Louis-XV. On a longé le quai des Orfèvres, le Louvre, puis les Tuileries, et on s’est encore battu avec des bougresses qui voulaient accrocher un Suisse à la lanterne… On était plusieurs milliers à partir. Ah ! Fallait voir, une vraie armada de femelles ! Toute cette foutue marche se faisait sous la pluie. Morbleu ! Il tombait du bouillon. On était fatigué, trempé jusqu’aux os et on avait rien à brouter. On est entré triomphalement à Versailles, toutes crottées, en chantant « Vive Henri IV » ! Et les citoyens de la ville nous répondaient en chœur : « Vivent nos Parisiennes ! » Une sacrée chorale ! J’en avais la chair de poule. La place d’Armes, devant le château, était noire de troupes. Il y avait les soldats du régiment de Flandres, la milice de Versailles et ces bougres de gardes du corps du roi. On s’est approché d’eux, on badinait avec certains, on en insultait d’autres.
    — C’est vrai qu’il y avait des hommes déguisés en femmes ? demanda Antoine.
    — J’en ai pas vu un seul, assura Henriette.
    — Moi si, pépia le petit tambour. Y en a même un qui avait de la moustache, du rouge aux lèvres et du poil sur le menton.
    — Bah, fit la Cabriole, des femmes à moustache, j’en connais bien une demi-douzaine au seul marché des Innocents.
    La troupe éclata de rire.
    — Oui, mais quand on a attaqué le château, j’en ai vu une, vêtue d’un déshabillé bleu, qui pissait par-dessus les pierres d’appui de la grille !
    — Arrête tes contes de peau d’âne, mon bellot, tu distrais Monsieur ! On essayait donc d’aguicher les soldats pour qu’ils rejoignent le camp du peuple. Après ça, comme on pouvait pas entrer dans le château à cause des troupes, on est allé à l’Assemblée nationale. Jeanne et moi, on faisait partie des douze femmes qui sont entrées les premières. Y avait Maillard et puis la Théroigne, une vraie amazone ; sur le chemin de Versailles, elle haranguait les foules à cheval avec son habit rouge, son jupon de Hongrie et son grand chapeau à panache jaune. Elle avait de l’allure la bourgeoise !
    — Vous êtes toutes entrées dans l’Assemblée ? demanda Antoine incrédule.
    — Oui, même que Maillard a sermonné les députés. Il leur a dit que le pain était trop cher et que ces bougres de calotins étaient des accapareurs, qu’on disait même que l’archevêque de Paris avait payé un meunier pour plus moudre son blé et qu’c’était pour ça qu’on en manquait. Les députés aristocrates ont poussé de grands « Ah » et puis des « Oh », mais un député, qui aime le peuple, a pris notre défense, Robbe-Pierre ou Robetzpierre , qui s’appelle.
    — Robespierre, fit Antoine.
    — Oui, c’est ça. Un patriote, mais cardé comme un petit-maître. Un vrai baron de la crasse !
    C’est ainsi que les gens du peuple désignaient les personnages guindés qui, sans titre ni fortune, se donnaient des airs de grands seigneurs.
    — Oui, compléta Henriette, il était roide comme une barre, mais parlait foutrement bien. Pour mettre la paix dans l’assemblée, un des abbés s’est approché de moi et m’a offert sa main à baiser, mais je lui ai donné un coup dessus en lui disant que j’étais pas foutue pour baiser la patte d’un chien. Et on a toutes crié : « À bas la calotte ! » 
    — Vous êtes des sorcières, fit Alecto, en faisant le signe de croix. Toutes vos hérésies vous retomberont sur la gueule.
    — C’est sur la tienne que ma main va retomber si tu l’ouvres encore, vieille béquille ! Le roi a promis du pain et puis tout ce qu’on demandait, mais nous, ça nous suffisait pas, on voulait le ramener lui et l’Autrichienne à Paris. Quelques-unes voulaient étriper la reine. Il a fallu les calmer.
    — Et la nuit ?
    — On a pas beaucoup dormi. Certaines folâtraient sur les bancs de l’Assemblée avec des soldats, comme ce Bel Œillet – un bien joli damoiseau – d’autres organisaient des patrouilles pour attraper des gardes du corps et s’en faire justice. Elles disaient qu’elles avaient apporté des baquets pour mettre leurs tronches et les ramener à Paris. Le tocsin a sonné jusqu’à l’aube. Et puis, vers six heures du matin, on a marché sur le château. On est entré dans la cour de Marbre. Y avait là quelques pauvres argoulets, méchants comme des teignes, qui

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