Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
Vom Netzwerk:
souhaitait retrouver Amélie sans délai ; il voulait savoir à quoi s’en tenir, pour se justifier si nécessaire ; une fois encore, ce jeune homme de vingt ans croyait porter le monde sur ses épaules. Il lui expédia un billet. Elle accepta son invitation à condition de se rendre à Versailles et de se promener dans le parc du château. Amélie comprenait-elle le sens de sa propre demande ? Elle voulait assister à la fin d’un monde, le saluer une dernière fois avant qu’il ne disparût à tout jamais. Antoine s’en étonna quelques instants ; mais il comprit. La jeune femme se sentait peut-être coupable d’avoir embrassé si chaleureusement le parti de la Révolution contre une certaine noblesse, rigide, inflexible, celle que représentaient si bien son père et le chevalier de Montfort.
    — Vous ne me parlez jamais de Madame votre mère, lui demanda Antoine alors que leur fiacre trottinait dans l’avenue de Paris.
    — Parce qu’il n’y a pas grand-chose à en dire. Elle n’est que l’ombre de mon père, elle se moule dans ses gestes et ses pensées, elle tente constamment de les rattraper. Toute sa vie n’aura été qu’une messe dont mon père fut l’officiant et qu’elle se contenta de psalmodier. Si vous aviez vu comme elle guette la moindre de ses humeurs, comme elle tremble de peur de ne pouvoir les anticiper !
    — Votre père est-il donc si terrible ?
    — Et elle si faible… Cela me coûte de le dire – vous êtes bien le premier à qui je fais une telle confidence – mais je la déteste pour cela, pour n’être qu’une apparence. Parfois, je voudrais la réveiller de ce long sommeil. Elle me fait songer à ces voiles trop fins qui vous habillent tout en dévoilant votre nudité…
    Elle se départit soudain de sa gravité et sourit à Antoine.
    — Vous me poussez à parler mais ne dites rien de vous. Pourquoi tant de mystères sur vos affections ? Comment pourrai-je vous connaître si vous me dissimulez tout ?
    — Pensez-vous que ma vie soit si intéressante que cela ?
    — Allons, ne faites point la bête.
    — En vérité, les choses sont assez simples. J’ai été élevé par mon père. Ma mère est morte quand j’avais huit ans. Je n’en ai conservé que très peu de souvenirs.
    — Je ne voulais pas être indiscrète, pardonnez-moi, Antoine.
    — Vous n’avez aucune raison de vous excuser, et puis tout cela est loin aujourd’hui…
    Elle le scruta avec ce regard pénétrant qui semblait toujours un peu dubitatif ; ce n’était pas de la suspicion, mais la volonté de se porter constamment au-delà des apparences, de pousser toujours plus loin la réflexion et l’étude des êtres qui l’intéressaient.
    Ils entrèrent dans la cour des Ministres, longèrent le château puis se promenèrent dans le parc. Il y régnait une atmosphère de fin d’empire. Tout paraissait si triste, si désenchanté. Des dizaines de domestiques s’affairaient pour charger le commun à destination des Tuileries où logeait désormais le roi. Versailles était comme l’esquisse d’une ville fantôme. Mais la ville, qui ne réalisait pas encore sa disgrâce, portait sur elle-même un regard plein d’étonnement.
    — Voulez-vous visiter la ménagerie ? demanda Antoine.
    — Je préférerais que nous nous promenions dans le parc. Lorsque je vois une ménagerie, j’ai l’impression d’observer avec impudeur des prisonniers enfermés dans leur cellule ; n’y a-t-il pas finalement quelque chose d’obscène à les regarder tournoyer ainsi dans leur cage, même si ce ne sont que des bêtes ? Leur souffrance a l’étrange faculté de nous divertir.
    — Vous avez raison. Restons dans le parc.
    Il y avait beaucoup d’antiques dans les jardins, mais une statue de Zeus les captiva tout particulièrement. Antoine lui-même n’avait rien vu de semblable depuis Rome. Un guide leur expliqua le chemin que l’œuvre du grec Miron avait effectué avant d’achever sa course dans les allées de Versailles. Trouvée par Marc Antoine à Samos, exposée au Capitole par Auguste, placée par un ministre de Charles Quint à Besançon, Louis XIV l’avait fait transporter dans son palais, après l’annexion de la Franche-Comté. Le Toulousain, qui assimilait le parcours d’un bel objet aux pérégrinations d’une vie humaine, fut fasciné par ce court récit. Il posa une main révérencieuse sur le colosse de marbre, qui avait perdu ses jambes, et dont le corps allait

Weitere Kostenlose Bücher