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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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vous… ?
    — Je viendrai.
     
    Elle arriva en retard. Pendant une demi-heure, il n’avait cessé de piaffer. Elle se mit nue devant lui et baissa les yeux d’un air chaste, ce qui la rendit plus désirable encore. Antoine avait du mal à respirer. Il osa pourtant lui demander de prendre les poses les plus voluptueuses. Il la fit s’allonger sur le ventre et vint lui-même retirer le drap qui dissimulait la cambrure de ses reins. Il dut retenir sa main, résister à l’appel de cette peau qui paraissait si douce. Il avait l’impression d’être le jouet de son propre désir, comme si son cerveau anticipait la rencontre de leurs deux corps, multipliait les informations les plus enivrantes, puisant dans la mémoire le souvenir d’un toucher subtil ou celui d’un contact torride. Ce réalisme sensoriel avait quelque chose de démoniaque. Le temps semblait brouillé, mêlant le futur au passé, le réel à l’imaginaire.
    Juliette releva les jambes. Elle avait l’air d’une adolescente, qui rêvassait seule dans son lit, et cette expression d’innocence pétrie de féminité était particulièrement excitante.
    — Vous ne dessinez pas, demanda-t-elle en battant des cils avec indolence, comme si elle allait sommeiller.
    — Vous êtes tellement belle… je ne sais pas si mes capacités…
    — Ce n’est pourtant pas la première fois que vous voyez le corps d’une femme.
    — Aucune n’avait encore eu un tel effet sur moi.
    Il entendit résonner ses propres mots, d’une platitude ahurissante.
    — Venez vous asseoir, parlons un peu et ça passera.
    Il s’approcha d’elle. L’odeur de son corps lui tourna la tête. Elle s’était redressée et avait enroulé le drap qui couvrait désormais la moitié de ses seins. Il se noya dans leur blancheur. Seul le liseré d’un téton dépassait et cette esquisse de nudité était encore plus fascinante. Il voulut l’embrasser. Mais elle se détourna sans rien dire.
    Il se leva, puis récupéra son crayon. Juliette l’observa un instant, ôta le drap et reprit la pose. Au moins, voyait-il à nouveau son corps. Il était comme un affamé qui, faute de mieux, se fait un régal d’un quignon de pain. Au prix de mille efforts, il parvint à finir son croquis. Ils parlèrent un peu. Juliette posait des questions à Antoine, mais restait très vague quand il l’interrogeait. Il apprit seulement qu’elle était couturière et posait pour des sculpteurs ou des peintres afin d’augmenter ses maigres revenus. Elle connaissait le majordome de l’hôtel de Nogaret dont elle avait autrefois fait la livrée. Celui-ci, sachant que sa maîtresse cherchait un modèle, avait tout naturellement pensé à Juliette. Une petite couturière ? Le Toulousain eût pourtant juré qu’elle était d’une condition plus élevée, peut-être en raison de sa grâce naturelle et de son vocabulaire châtié.
    Comme la première fois, il lui montra son dessin. Elle l’approuva, se rhabilla et partit, promettant de revenir le surlendemain.
     
    Il l’attendit toute la matinée, mais elle ne vint pas. Il en était fou. Comment allait-il retrouver sa trace ? Il ignorait même où elle habitait. Il se demanda s’il aurait le courage, ou le ridicule, d’aller interroger Gabrielle. Après voir courtisé sa nièce, voilà qu’il s’entichait d’une inconnue. Il s’effraya lui-même de son inconstance et de sa désinvolture. Et Amélie ? Il se reprit aussitôt. Que lui avait-il promis ? De toute manière, il était envoûté par Juliette. Il voulait la posséder. Rien d’autre n’existait. L’attrait charnel de cette femme renversait tout sur son passage. Il devenait irascible comme un ivrogne en manque de boisson. Amélie ne le voyait plus, ne lui écrivait plus, et Antoine ne cherchait même pas à en connaître la raison.
    À cette époque, les jeunes hommes célibataires ne pouvaient apaiser leur fièvre qu’avec des femmes du peuple ou des prostituées. Mais le Toulousain n’avait pas un goût immodéré pour les filles publiques. Il se souvenait parfois des sermons terrifiants du curé de sa paroisse. C’était un homme sec comme un arbuste de garrigue, un escogriffe aux yeux noirs, creusés, mangés par le jeûne et les veilles trop fréquentes. De sa voix tonnante, il fulminait contre les affres du plaisir avec une sorte de délectation et fustigeait les turpitudes de la chair comme s’il dénonçait le plus odieux des crimes. Pour effrayer davantage les

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