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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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ne songea plus qu’à Amélie. Il sentait bien, à sa nervosité croissante, qu’il se rapprochait d’elle. Le lendemain, il coucha à Cholet et, le jour suivant, il atteignit Mortagne. Il observait avec avidité cette région que l’on ne nommait pas encore la Vendée. C’est à quelques lieues d’ici qu’Amélie avait toujours vécu ; ces gens, ces paysages, lui étaient familiers depuis l’enfance. Il voulait s’en imprégner. Mais le Bocage demeurait pour lui un mystère. Il savait seulement que la végétation y était dense, les routes souvent impraticables et les gens un peu sauvages.
    Avec ses maisons éclopées, ses rues étroites et tortueuses, Mortagne n’avait rien d’édifiant. Seuls le couvent des Bénédictins et les ruines du vieux château anglais attirèrent l’attention du voyageur. Le temps s’était éclairci et la température, assez clémente, donnait à cette journée une apparence printanière. Antoine se sentait apaisé. Toutes les inquiétudes, qui l’avaient tenaillé depuis son départ de Paris, s’étaient subitement dissipées. Après une courte halte, la diligence poursuivit son chemin en direction des Herbiers. La route, dont les ingénieurs de Louis XVI avaient su adoucir la pente, serpentait à flanc de collines jusqu’à la Sèvre nantaise. La rivière roulait ses eaux étincelantes entre de grandes roches noires, dévalait des cascades ou baignait paisiblement une myriade d’îlots plantés d’aulnes. Ici et là, s’élevaient quelques chênes rouvres dont les ramures, bien qu’effeuillées, ombrageaient les berges.
    Le Toulousain quitta la diligence aux Herbiers afin de remonter vers le nord. Il se mit en quête d’une voiture. On lui répondit que les chemins vicinaux étaient inondés et qu’il fallait attendre le passage d’un charroi. Il prit son mal en patience et passa la nuit en ville.
    Le lendemain matin, il fut informé qu’un guide l’attendait dans la salle de l’auberge. En descendant les escaliers, il découvrit un jeune paysan dont l’apparence lui parut imposante. Avec sa mine farouche, son nez aquilin, son regard mobile, cet homme avait l’air d’un oiseau de proie. Il portait le costume traditionnel du Bas-Poitou, un chapeau de feutre noir, à larges bords, une veste sombre, drapée d’une longue chevelure de jais, et un gilet de laine boutonné sur le côté à la manière d’une capote militaire. L’habillement était complété par une culotte de drap rayée, de longues guêtres et des sabots en bois de peuplier. Un mouchoir rouge de Cholet, dont le nœud tombait négligemment sur sa poitrine, donnait à l’ensemble une touche de désinvolture.
    — Bonjour, Monsieur, je m’appelle Laheu. On m’a dit que vous vouliez aller à Morlanges.
    — Oui, c’est exact, pouvez-vous m’y conduire ?
    — Je ne sais pas. En cette saison, la plupart des chemins sont sous les eaux.
    Le paysan jeta un coup d’œil sur les bas blancs du voyageur.
    — Il faudra vous changer si vous ne voulez pas arriver au manoir tout crotté.
    — Me changer ? Je n’y tiens pas particulièrement.
    Antoine, qui ne connaissait pas les chemins du Bocage, voulait faire bonne figure devant les parents d’Amélie. Son guide adressa quelques mots en patois à l’aubergiste, puis se tourna vers lui.
    — Bien, Monsieur, comme vous voudrez, je vais prendre vos bagages et nous pourrons partir.
     
    Le temps était pluvieux. Antoine s’installa dans la charrette à bœufs en se protégeant tant bien que mal des intempéries. Assis près de lui, son guide l’observait du coin de l’œil, un peu narquois. Chaque fois que le Toulousain essayait d’engager la conversation, le paysan lui répondait distraitement, par des phrases courtes ou des monosyllabes.
    — Faut-il beaucoup de temps pour se rendre à Morlanges ?
    — Ça dépend de l’état des routes, Monsieur…
    — Connaissez-vous le marquis ?
    — Comme tout le monde dans le pays, Monsieur.
    Antoine commençait à s’agacer, d’autant plus qu’il était trempé et grelottait de froid.
    — Hooo ! Hooo ! Arrêtez-vous mes jolis, hurla le rustre à l’adresse de ses bœufs, on va s’embourber !
    L’eau était partout ; elle ruisselait des rochers, inondait les chemins creux, animait les bras des moulins à coussottes dont on entendait de loin gémir les meules. La charrette fit un laborieux détour puis emprunta une route moins détrempée. Ils dépassèrent plusieurs villages,

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