Dans l'ombre des Lumières
fait.
— Vous ne l’effacerez pas en vous infligeant de nouvelles tortures…
— Écoutez-moi, Amélie, je ne vous ai pas trahie, la chair ne trahit pas, seul l’esprit en est capable.
— Qui commande à la chair si ce n’est l’esprit ? Ne fuyez pas vos responsabilités. C’est inutile, puisque je vous ai pardonné.
— Sachez au moins que votre tante m’a entraîné dans un piège.
— Je vous en prie, Antoine, de si piètres excuses sont indignes de vous. Je vous ai pardonné, mais assumez au moins vos actes. Vous n’êtes pas une marionnette manipulée par des mains toutes-puissantes. Je ne vous aimerais pas ainsi. Même si ma tante est la créature perverse que vous dites, vous êtes, en partie, maître de vous-même.
— Et quelle est donc la part dont je ne suis pas le maître ? Je l’ignore…
— Allons, mon cher Antoine, ne rouvrez pas indéfiniment vos plaies. Vous avez au contraire besoin de repos. En vérité, il n’existe pas de censeur plus inflexible de votre conduite, pas de juge plus impitoyable que vous-même. Je sais les efforts que vous avez déployés pour me séduire. Je vous ai vu, tour à tour soucieux et drôle, dévoré d’angoisses et plein d’espoir. Chaque jour, pendant un mois, en vous observant, je suis passée des rires aux larmes et je me suis sentie profondément vivante.
Amélie se baissa au moment même où Antoine se redressait sur son coussin. Pour la première fois, leurs lèvres s’effleurèrent. Ils hésitèrent quelques secondes puis s’embrassèrent longuement. Un fluide les parcourut, enlaça leurs pensées, emmêla leur chair. C’était la première fois qu’ils éprouvaient une sensation d’une telle intensité. Puis la jeune fille s’écarta et ils gardèrent un instant le silence.
— Vous partez demain, demanda Antoine.
— Oui… Mais nous nous reverrons peut-être, cela dépend aussi de vous…
— Je veux vous épouser. J’avais honte de vous en parler aujourd’hui, mais…
Le visage d’Amélie se ferma légèrement ; la récente aventure d’Antoine ternissait sa joie. Peut-être avait-il dit ces mots à une autre, avec la même passion dans le regard. Elle savait pourtant qu’il l’aimait, mais la blessure restait trop vive.
— Rejoignez-moi à Morlanges, si vous le voulez, lui dit-elle sur un ton assez distant. Vous pourrez faire votre demande à mon père.
Antoine la considéra d’un air triste car il savait que le poison distillé par Gabrielle continuait d’infecter leur relation.
— Je vous y retrouverai… Je vous prouverai ma sincérité.
Le ton du Toulousain était devenu tellement volontaire qu’il semblait presque froid.
Amélie lui sourit, se leva et se dirigea vers la porte ; il l’accompagna du regard. Il se demandait si elle allait se retourner. Elle en esquissa seulement le geste, puis s’en alla.
5
Les Fédérés
I
Amélie était partie depuis une semaine déjà. Choyé par Éléonore, Antoine commençait à se rétablir. Il retrouvait l’appétit et dormait constamment. Il ne se levait du lit que pour écrire à sa belle quelques lettres enflammées dont l’ardeur n’avait d’équivalent que l’innocence. Il sabla la dernière afin d’en sécher l’encre, puis en rédigea une autre à l’attention de son père.
« Mon père,
« Je ne veux pas tarder à vous faire part de mon bonheur. J’ai en effet pris le parti de me marier avec la plus merveilleuse des femmes, et j’attends que vous m’accordiez votre bénédiction. Mes mots seraient bien incapables de vous décrire cette personne tant elle réunit de qualités rares. Mlle de Morlanges est une jeune fille noble dont la famille possède un vieux manoir et quelques terres arables dans le Poitou. Les Morlanges font partie, je crois, de cette noblesse impécunieuse et assez fruste qui n’hésite pas à pousser la charrue avec ses paysans ; du moins, vivent-ils aussi confortablement que les plus riches de leurs métayers. Quelques coqs de village, munis d’éperons, donneraient peut-être une image assez fidèle de cette noblesse-là. Elle possède de surcroît la fierté du sang, mais sans morgue, et manifeste un véritable mépris pour l’argent. Je ne les crois pas gens à vouloir tirer profit d’un mariage. Je pense seulement que M. de Morlanges serait trop heureux de pouvoir se débarrasser de sa fille sans avoir à verser de dot. À ce que j’ai ouï dire, le marquis est un vieux forban d’officier,
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