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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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d’un naturel peu avenant et même franchement atrabilaire. Je l’imagine sec et tout craquant comme un sarment de vigne. Je ne saurais dire si la mésalliance constitue pour lui un motif de refus. Peut-être s’opposera-t-il à notre union. Quoi qu’il en soit, je suis prêt à tout. Vous, qui aimâtes passionnément ma mère, me comprendrez, j’en suis sûr. Pour le reste, j’ignore si la coutume veut que l’on dresse des contrats de mariage en Poitou comme on le fait chez nous. Enfin, nous verrons bien.
    « Mon cher père, il m’arrive tant de belles choses, en si peu de temps, que je ne sais plus où donner de la tête. Si M. de Morlanges cède à nos vœux, le mariage se fera certainement à Toulouse, dans la famille du marié. Touchez-en, s’il vous plaît, un mot à l’abbé Renard. Je serais honoré qu’il acceptât de célébrer notre union. Vous ne m’en voudrez pas, père, si je pars pour l’Ouest avant de retrouver notre belle patrie. C’est là-bas, à n’en pas douter, que se situe le principal obstacle à ma délivrance, et il me tarde de rejoindre Amélie qui s’y trouve déjà.
    « À vous revoir, mon cher père, et que Dieu vous ait en sa sainte garde.
    « Post-scriptum : Savez-vous qu’à l’Assemblée nationale, j’ai eu l’honneur de voir et d’entendre M. Rabaut-Saint-Étienne, qui est pasteur à Nîmes ? C’est un esprit plein de sagesse et de componction. Approcher de tels géants vous donne le vertige. Adieu.
    « Votre fils qui vous aime,
    Antoine. »
    Le Toulousain était encore dans ses rêveries lorsqu’il entendit frapper à sa porte. Il alla ouvrir. Face à lui, Manon avait la mine contrite d’une petite fille qui vient de commettre une sottise.
    — Monsieur, un enfant est venu vous trouver ce tantôt, mais je n’ai pas voulu le laisser entrer.
    — Un enfant ?
    — Un garçon des rues, avec des haillons et une figure déjà bien gâtée pour son âge.
    Cela ne pouvait être que Pierre.
    — Et que voulait-il ?
    — Dame ! Le petiot était très inquiet pour votre santé, mais vous dormiez… Ai-je mal fait Monsieur ?…
    Antoine, pensif, se contenta de hocher la tête.
    — Vous a-t-il dit autre chose ?
    — Oui, que vous pourriez le trouver demain matin rue de la Grande-Truanderie, à l’angle de la rue Saint-Denis, où il doit ramoner une cheminée. Je lui ai expliqué que vous aviez bien mieux à faire que d’aller visiter un petit gueux comme lui. Je lui ai même demandé s’il venait demander l’aumône. Diable ! Que n’avais-je pas dit là ! Il s’est mis à piailler de colère à m’en faire siffler les oreilles.
    Antoine fut touché par l’attention du petit tambour. Il jugea que ses forces étaient suffisantes pour se rendre à l’endroit indiqué.
     
    Le lendemain matin, il se dirigea vers la bâtisse à vieux colombages où travaillait l’enfant depuis près d’une heure. Un maître ramoneur en obstruait la porte de sa silhouette massive. Il avait un visage large, un nez couperosé et renflé, des yeux bleus, presque bridés, et une tête surmontée d’un bonnet de laine grise dont le pompon rebondissait sur ses oreilles. Le corps était emmailloté d’un vaste tablier anthracite qui descendait jusqu’au bas du pantalon, sans toutefois couvrir les sabots. C’était l’un de ces gaillards qui, dès cinq heures du matin, avalaient plusieurs lampées d’eau-de-vie avant d’entamer leur journée de travail.
    — Où est Pierre ? demanda le peintre.
    — À l’ouvrage, dans la cheminée… Mais je ne peux pas vous laisser entrer, le propriétaire est absent. Et si vous étiez un de ces larrons qui traînent ?
    — Allons, ôte-toi de là mon brave, et ne dis plus de sottises, glapit Antoine en repoussant le quinquagénaire à l’aide de sa canne.
    Le maître hésita un peu, puis s’écarta. Antoine pénétra dans la salle où les meubles étaient soigneusement recouverts de toile. Il ne voyait pas l’enfant, qui ramonait, mais l’entendait gratter avidement la cheminée à l’aide de son fer. Pierre ahanait en poussant de petits gémissements. Au bout d’un moment, le peintre vit deux pieds se balancer dans l’âtre puis un corps entier sortir du conduit.
    Le garçonnet avait l’allure d’un spectre avec ses yeux bandés, son visage noir, ses jambes frêles, garrottées par les genouillères de protection comme les chevilles d’un condamné. Il ôta son bandeau et commença à tousser. Ce n’était

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