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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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croisèrent une procession de paysans, puis un curé, qui allait rejoindre ses ouailles à dos de mule. Un peu plus loin, une bergère, vêtue d’une cape de droguet, marchait en portant sa quenouille et une chaufferette d’où filait une nuée de braises.
    Ils s’engouffrèrent dans le cœur du Bocage. C’était un méandre de sentiers étroits et encaissés, flanqués de haies vives si hautes qu’un berceau de verdure les enténébrait dès le printemps. Les bœufs ahanaient, tiraient sur leur joug, s’enfonçaient dans la boue jusqu’au ventre.
    — On ne pourra plus avancer avec la charrette, Monsieur, il va falloir descendre et continuer à pied. Nous ne sommes plus très loin du manoir maintenant. Je prendrai un de vos bagages et vous me suivrez.
    — Bien, allons-y !
    Il fallut près d’une heure pour désembourber l’attelage et le ramener jusqu’à un endroit sec. Laheu, qui était d’une robustesse peu commune, prit l’une des valises d’Antoine, abandonna les autres dans la charrette, et commença à grimper sur le bord d’un talus. S’inspirant de chacun de ses mouvements, le peintre escalada les échaliers et longea les cheintres 1 . Ses jambes étaient déjà couvertes de fange jusqu’au bas de la culotte. Ils marchèrent ainsi pendant une demi-heure, évitant les ronces, s’accrochant aux branches humides des églantiers ou des noisetiers sauvages.
    Laheu s’arrêta brusquement, au beau milieu d’un sentier, à la manière d’un chien de chasse en arrêt.
    — Qu’y a-t-il ?
    — On est presque arrivé, Monsieur, mais on ne pourra pas passer par là, les sentiers sont trop glissants et le sol est inondé.
    — Ici pourtant, ça paraît tout à fait sec.
    — Oui, ça paraît sec, s’impatienta le paysan, mais ça ne l’est pas.
    Antoine s’entêta.
    — Je suis sûr que nous pouvons passer, nous n’allons pas encore faire un de vos détours interminables. Je suis rompu.
    — Et bien allez-y, Monsieur, je vous rejoindrai par l’autre chemin, et nous verrons bien qui arrivera le premier.
    Antoine fut piqué au vif.
    — Attendez ici cinq minutes et vous verrez que c’est un jeu d’enfant.
    Il continua de progresser seul en se serrant contre la haie, mais, au bout de quelques pas, il glissa sur un tapis de feuilles mouillées, vacilla, tenta de se rattraper à une branche, qui lui écorcha les mains, puis tomba de tout son poids dans une mare de boue. Le malheureux en avait jusqu’aux oreilles et se débattait comme un noyé sous l’œil rieur de son guide.
    — Venez donc m’aider ! cria-t-il, furieux.
    Estimant que la leçon était suffisante, le paysan se précipita pour tendre la main au Toulousain et le sortir de sa bauge.
    — Cadedis ! Je pue le cochon !
    Laheu se retenait de rire, mais, quand il vit que la colère d’Antoine s’était muée en accablement, il fut pris de compassion.
    — Allez venez, Monsieur, vous irez vous débarbouiller dans le ruisseau avant de faire votre entrée au manoir.
    Ils durent retourner jusqu’à la charrette. Le Toulousain s’y changea, puis ils reprirent leur marche. Cette fois, il ne pipa mot et mit docilement ses pas dans ceux du Poitevin.
    — Nous y voilà, le manoir se trouve derrière cette haie. Je vous rejoindrai avec la charrette et le reste de vos effets.
    Antoine remercia son guide et se dirigea dans la direction indiquée. Il avait beau s’être débarbouillé, il était encore tout maculé de boue et c’est dans ce triste appareil qu’il se présenta à Morlanges.
    1 - Les échaliers sont les barrières qui séparent les champs, et les cheintres la partie en bordure des champs, réservée au pâturage.

III
    Il crut tout d’abord s’être trompé d’endroit car le manoir ressemblait davantage à une métairie qu’à une gentilhommière. Seuls le blason de la famille, sculpté sur le fronton de granit, les deux tours d’angle et l’étage du bâtiment central trahissaient la présence de la noblesse.
    Un paysan d’une cinquantaine d’années débitait du bois près de la grille d’entrée. Malgré la modestie de sa mise, l’homme ne manquait pas de prestance. Il avait les bras nus et semblait indifférent aux rigueurs du temps. Ses épaules étaient larges, ses muscles fins, tendus par l’effort ; il coupait les bûches sur un billot d’un geste à la fois précis et vigoureux. Antoine s’approcha. Le paysan l’observa de biais tout en continuant à manier la hache.
    — Dites-moi,

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