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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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pas le genre de toux qu’avait eue Antoine, violente et passagère, mais une affection chronique. Le Toulousain l’examina d’un air grave. Il avait déjà éprouvé la même sensation de révolte en découvrant le dos de Pierre, rongé par le fouet de Bicêtre.
    L’enfant parut agréablement surpris.
    — Tu veux bien m’attendre ? demanda-t-il à son aîné. J’ai presque fini…
    Le peintre acquiesça. Pierre remit le bandeau sur ses yeux et se hissa dans le conduit à la seule force de ses genoux et de ses bras. Chaque fois qu’une masse d’étoupe se détachait et retombait sur le sol, il semblait suffoquer. Il parvint pourtant jusqu’au toit où l’attendait un garçon fumiste. Son nez crasseux pointa à l’air libre comme celui d’un mort vivant qui surgirait d’une fosse. Puis il redescendit en se râpant le cuir contre la pierre rugueuse. Une fois à terre, il s’épousseta et s’ébroua à la manière d’un petit chien qui sort de l’eau. Il avait terminé de ramoner cette cheminée. Il lui en restait une demi-douzaine à visiter avant le soir.
    Grâce à leur corps malingre, les enfants – que l’on employait dès l’âge de huit ans – parvenaient à se faufiler dans les conduits les plus étroits. Certains se brisaient les jambes ou mouraient asphyxiés pendant le travail, mais Pierre avait toujours eu de la chance. Chaque hiver, on l’envoyait fouiller la crasse comme un rat bien dressé ou un petit singe agile à qui l’on se contentait de lancer quelques sous après l’ouvrage. Des patrons avides s’appropriaient la plus grande part des salaires, mais le maître de Pierre était un honnête homme. De toute façon, il était impossible de protester, c’était l’antre noir ou bien la faim.
    — Tu t’inquiétais pour moi, lui demanda Antoine ?
    L’enfant était gêné. Il ne répondit rien. Son patron entra dans la pièce pour examiner le conduit.
    — Bien, ça ira, mon p’tit, bon travail.
    Antoine observa le maître, la bonté de son regard, la douceur de ses gestes, la manière qu’il avait de reprendre ses subordonnés sans les humilier. Il réalisa soudain que l’arrogance dont il avait fait preuve envers cet homme était la même que celle qu’il reprochait à la noblesse. Et il comprit que si le maître ramoneur n’avait pas répondu à ses insolences, ce n’était nullement par faiblesse, mais par intelligence. Antoine se fit plus discret. Il proposa d’emmener Pierre à dîner avant la reprise du travail. Le maître accepta et le peintre se rendit dans une taverne, flanqué du tambour.
    Pierre dévora le contenu de son assiette en un clin d’œil.
    — Manges-tu à ta faim, mon Pierrot ?
    — Oui, ces temps-ci, je me débrouille bien. En hiver, y a beaucoup d’embauche.
    — Et ton maître ?
    — Il me donne c’qu’il faut, et bien plus encore. Parfois, des proprios m’apportent à manger. J’voudrais m’acheter une boîte de décrotteur pour nettoyer les chaussures des bourgeois sur les boulevards.
    Antoine regarda le visage cabossé de l’enfant.
    — Je te l’achèterai. Et tu auras de l’argent. Je veux que tu ne manques de rien.
    Pierre cessa de manger et se redressa l’air soucieux.
    — Pourquoi ? Tu t’en vas ?
    Antoine lui sourit.
    — Je vais sans doute me marier, pitchoun .
    — Avec une femme ?
    — Et oui, pas avec un ours !… Tu verras, elle te plaira.
    — Moi, j’l’aime pas !
    — Tu ne la connais pas.
    — Ça fait rien, j’l’aime pas quand même.
    — Je croyais qu’on était amis, toi et moi… J’ai dit à ma servante que tu étais mon protégé ; elle te donnera ce que tu voudras. Et si tu ne sais pas où coucher, tu auras toujours ma chambre. Ma logeuse est d’accord… Je ne pars pas longtemps.
    — Tu reviens quand ?
    — Le plus vite possible…
    Antoine lui donna une bourrade affectueuse et rentra chez lui.
     
    Quelques jours plus tard, il reçut une lettre d’Amélie. Son père acceptait de le recevoir. Il réserva aussitôt une place dans la diligence et, le 2 janvier, il approcha de la grande route royale qui reliait Saumur aux Sables-d’Olonne.

II
    Absorbé par ses pensées, Antoine ne prêtait aucune attention aux passagers de la voiture. Il était jaloux de son temps. Il croyait pouvoir anticiper sa confrontation avec le marquis de Morlanges ; il se demandait comment lui plaire ou de quelle manière il réagirait à ses rebuffades. Mais, lorsqu’il arriva à Saumur, il

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