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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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s’empêcher de détourner les yeux ; il sortit de voiture. À l’extérieur, il fut surpris de découvrir, non pas un seul, mais une douzaine de paysans ; tous étaient venus escorter les Loisel jusqu’à Morlanges. Il régnait d’ailleurs dans la rue une atmosphère de fronde. Les paysans détaillèrent immédiatement l’uniforme d’Antoine avec un dégoût inexprimable. Qu’importe ! songea le Toulousain. Sa femme et lui étaient libres ; ils allaient pouvoir vivre en paix dans le Bocage.
    1 - Les Frères du Saint-Esprit, ou Mulotins, du nom de leur premier Supérieur, l’abbé René Mulot, suivaient l’exemple du père Louis-Marie Grignion de Montfort. Ils s’étaient consacrés à la prédication des missions ; les Filles de la Sagesse s’occupaient des hôpitaux et prodiguaient des soins aux pauvres malades.

V
    Conduite par Jean Laheu, la charrette s’enfonça lentement dans les chemins creux. Les paysans s’empressèrent de récupérer leurs fusils, qu’ils avaient dissimulés sous une bâche ; puis ils quittèrent l’équipage pour retourner à leurs travaux. Dans cet univers végétal, le besoin d’une escorte se révélait désormais inutile. Amélie et Antoine parlèrent peu ; ils évoquèrent brièvement le mépris de Garnier pour les rustres de la Vendée, puis s’assoupirent l’un près de l’autre, jusqu’au château de Morlanges.
    Ils n’y demeurèrent pas longtemps. Le ci-devant marquis se montrait toujours aussi dédaigneux. Les péripéties révolutionnaires n’avaient fait qu’accentuer l’aigreur et la méchanceté de cet homme. Il toisa l’uniforme d’Antoine, non pas avec la méfiance mêlée de répulsion des paysans, mais avec une suprême condescendance. Il ne voyait même pas la cocarde tricolore, l’habit bleu, la culotte blanche, il pensait seulement aux galons absents, à ceux que Loisel n’avait pas su gagner au service de la patrie. Comment Antoine aurait-il pu expliquer à ce vieux reître qu’il n’avait aucun goût pour le commandement, que dans la milice parisienne, ou au régiment, il n’avait jamais rien tenté pour se faire élire par la troupe ? Après Saint-Trond, il avait même décliné l’offre que ses camarades lui avaient faite, au grand étonnement de son ami Cornaille.
    Mme de Morlanges se comporta, en revanche, de manière relativement chaleureuse, ce qui, de sa part, avait de quoi surprendre.
    Ils s’installèrent dans la grande salle, une fois que Loubette les eut débarrassés de leurs effets.
    — Père, dit Amélie, savez-vous que nous avons fait une partie du chemin avec l’administrateur Garnier.
    — Garnier ? J’ai bien connu l’oncle de ce coquin ; c’était l’un de ces petits serviteurs royaux qui avaient encore du foin dans les chausses et se donnaient des airs de cadet huppé.
    — Que se passe-t-il donc, père ? En quelques mois, l’atmosphère de nos campagnes a bien changé. La colère du peuple est encore plus vive qu’à l’automne dernier.
    — Vous vous en étonnez ? Vous, qui étiez à Paris, vous, qui vous êtes engouée de cette maudite révolution, vous savez sans doute qu’on y a coupé la tête de notre roi.
    — Je le sais, dit tristement Amélie, qui ne voulait pas relever le cruel sarcasme. Est-ce la mort du roi qui a augmenté à ce point la colère de nos paysans ?
    — La mort du roi et bien d’autres choses. Comme si vous ignoriez le sort de ces gens, comme si vous ne saviez pas à quel point ils sont quotidiennement harassés par les Bleus 1 .
    Le marquis n’avait pas achevé sa démonstration qu’une ombre se mit à remuer dans un coin de la pièce. Personne n’y avait encore prêté attention.
    — Vous ici, dit Amélie, en s’adressant à la robe noire.
    Le père Leretz s’approcha lentement du groupe ; Antoine reconnut son visage émacié dès qu’il s’approcha de la croisée.
    — Comment allez-vous ma chère enfant ? demanda le prêtre d’une voix un peu éteinte… Monsieur Loisel, je suis bien aise de vous revoir.
    — Nous cachons le père Leretz à Morlanges, dit le marquis. Il faut bien le ravir à la folie meurtrière de vos amis démagogues.
    — Père ! s’écria Amélie.
    Morlanges se contenta de hausser les épaules. Sa colère était d’autant plus surfaite qu’avant la Révolution, il pestait constamment contre les moinillons et toute cette bougrerie de prêtraille .
    — Vous n’avez donc pas prêté le serment, demanda Antoine au

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