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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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les conduire dans le pays. Il y avait là des Patauts 2 de Nantes, de Fontenay et de Cholet. Ils sont entrés dans une gentilhommière où les gars n’avaient même pas eu le temps d’enlever leur cocarde blanche. Le chef des Bleus leur a dit qu’il ne fallait pas se rallier aux brigands . Les gars ont répondu que les brigands leur avaient tué beaucoup de monde. Alors le chef des Bleus leur a demandé comment étaient habillés les brigands, et les gars lui ont répondu qu’ils étaient habillés comme lui qui portait l’habit national.
    Et en disant cela, Laheu montra du doigt l’uniforme d’Antoine.
    — Le chef avait l’air bien ennuyé. Après ça, mon cousin et les Bleus ont regagné la route qui était jonchée de chapeaux, de bonnets et de sabots. Puis, arrivés au chemin qui conduit au Pont-Cornet, ils ont vu une centaine de cadavres entièrement nus. Et, comme on était au mois d’août, ça puait déjà fort la charogne. Parmi les morts, il y avait un enfant de treize ans à qui les gens de la garde nationale avaient coupé une oreille. C’était triste de voir cet enfant du Bon Dieu, tout nu, dans le fossé, avec ses yeux grands ouverts et ce trou plein de sang sur le côté. Même le chef des Bleus n’a pas pu s’empêcher de pleurer…
    Il y eut un silence pesant, puis le Vendéen reprit.
    — Tout le monde le sait dans le pays, même les Patauts. À la foire de Cholet, j’ai vu un paysan républicain qui avait cousu l’oreille d’un rebelle sur son habit, comme une cocarde.
    Antoine ressentit une profonde répulsion, non pas seulement pour les républicains, mais pour l’espèce humaine. Il était dans cet état lorsqu’un domestique de Morlanges se précipita dans la salle tout essoufflé.
    — Les Bleus, Monsieur le marquis, les Bleus ! Ils arrivent par le chemin de la Gaubretière !
    — Vite, Monsieur l’abbé, lança la marquise, allez vous cacher dans le grenier.
    Le prêtre se déroba comme l’éclair pendant que le marquis et ses paysans allaient chercher des fourches et des fusils.
    1 - Les Bleus, c’est-à-dire les républicains, d’après la couleur de l’habit que portait la garde nationale.
    2 - Des Patauts, c’est-à-dire des patriotes, des républicains, des Bleus.

VI
    Une dizaine de gendarmes nationaux avaient investi la cour du manoir. Morlanges les attendait crânement sur le perron en compagnie de Laheu, de son valet de ferme, et de quelques autres paysans. Antoine sortit à son tour tandis que le capitaine des gendarmes et deux de ses hommes mettaient pied à terre ; ces derniers s’approchèrent du groupe, puis marquèrent un temps d’arrêt, surpris de voir que l’on portait l’uniforme national chez un aristocrate notoire.
    — Citoyen ! salua le gendarme d’un ton routinier, tandis que le mouvement de ses lèvres agitait ses moustaches en croc.
    Morlanges répondit avec un agacement visible. Le marquis ne supportait pas qu’on l’appelât « citoyen ». Il lui arrivait de rompre le pain avec ses gens, contrairement à ce que faisaient la plupart des gentilshommes du pays, mais il avait toujours été le maître d’entretenir cette promiscuité singulière. Cette fois, en revanche, on lui imposait un titre ridicule ; on ne l’appelait plus Monsieur le marquis de Morlanges, mais Monsieur Billaut, ou citoyen Billaut. Cela sonnait tout de même moins bien que Très Haut et Très puissant Seigneur, Anne-Louis-Charles Billaut, baron de La Guicherie, marquis de Morlanges, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, ancien capitaine de Sa Majesté au régiment Royal- Dragons…
    — Nous devons réquisitionner vos armes et vos chevaux, citoyen Billaut.
    — Nous n’en avons plus, grogna le marquis entre ses dents. La garde nationale de Montaigu a déjà tout emporté.
    — Allez voir dans les écuries, vous autres, commanda le capitaine à ses hommes.
    Puis, en se retournant vers Morlanges :
    — Et les armes que vous portez ?
    — Nos fusils de chasse ? Vous n’allez tout de même pas nous empêcher de courir le loup et de défendre nos familles contre les brigands !
    — C’est la loi, citoyen. De toute façon, la force publique est là pour assurer votre sûreté.
    Morlanges retint avec peine un ricanement. Puis son expression redevint menaçante.
    — Personne ne prendra nos fusils, dit-il en serrant son arme et ses mâchoires d’un air dissuasif.
    En quelques secondes, la tension monta d’un cran. Le

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