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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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hérissée d’étendards royaux, de fourches, de bâtons ferrés et de faux. Jean Laheu remonta la ligne avec une centaine de cavaliers, profitant d’un élargissement du chemin pour rattraper la tête de colonne. Le paysan, pour lequel Antoine nourrissait déjà beaucoup d’estime, ne manquait pas d’allure. Et pourtant, la cavalerie vendéenne offrait un bien curieux spectacle. À la première rencontre, on eût dit un groupe de carêmes-prenants juchés sur des chevaux de carnaval, tant cette troupe était hétéroclite et mal assortie. Les sabots remplaçaient souvent les bottes, les bâts faisaient parfois office de selles et l’on se servait fréquemment de cordes en guise d’étriers. Les montures étaient de toutes les tailles et de toutes les couleurs, les armes dépareillées, les costumes bariolés. Sur les poitrines, le Sacré Cœur de Jésus côtoyait les cocardes brunes, blanches ou vertes. Les uns portaient le bonnet de laine, les autres le chapeau à large bord ou le haut-de-forme. Des emblèmes tricolores et des épaulettes de patriotes avaient été attachés à la queue des chevaux en guise de trophées.
    Jean salua Antoine au passage. Les deux hommes s’appréciaient et ne manquaient aucune occasion de le montrer. Très fin et particulièrement observateur, Laheu avait bien compris quelle était la position difficile du jeune peintre ; loin de le juger, il tentait de le comprendre. Lui-même n’avait pas hésité à quitter l’armée royaliste du Centre pour rejoindre celle de l’Anjou et se rapprocher ainsi des Loisel qui, dès l’origine, avaient voulu fuir la présence du marquis de Morlanges. De son côté, le Toulousain admirait de plus en plus le jeune bordier, sa fidélité, son intelligence. Laheu s’était marié deux ans plus tôt. Il avait l’assurance tranquille que procure un amour partagé. Les paysans l’avaient baptisé Cœur-de-Roi en raison de sa bravoure et parce qu’il avait été l’un des premiers à s’épingler le Sacré Cœur de Jésus sur la poitrine. Connaissant ses sentiments monarchistes et sa dévotion, ils avaient fait une sorte de contraction entre ses deux symboles, d’ailleurs indissociables.
     
    Ils arrivèrent avant la nuit. Trois semaines plus tôt, les paroisses de Saint-Pierre et de Chemillé, qui étaient sous la menace constante des républicains, avaient été fortifiées par les paysans du canton.
    Beaucoup de Vendéens paraissaient nerveux. Sans doute devinaient-ils qu’ils allaient vivre leur première bataille rangée contre les troupes de la République. Les autres avaient le calme de ceux qui acceptent sans réserve de mourir pour leur foi. Antoine les observa tous avec la même angoisse. Demain peut-être, l’insurrection n’existerait plus.
    La petite troupe de Dupuy se munit de quelques remèdes et de charpies que les femmes venaient de confectionner ; puis, elle prit ses quartiers pour la nuit. Le début de la matinée fut consacré à préparer la bataille et à surveiller les mouvements de l’ennemi. Depuis des jours, le tocsin ne cessait de sonner ; ce tintement permanent avait fini par obséder Antoine. Et puis, soudain, vers dix heures, il entendit tonner les premiers coups de canons.
    1 - Environ 1, 76 m.
    2 - Hymne latine à la Croix, composée au VI e siècle par Venantius Fortunatus, évêque de Poitiers.

XII
    C’était le général républicain Duhoux qui affrontait son propre neveu, le chevalier du même nom, du côté de La Jumellière. Tout le déchirement de la guerre civile semblait résumé par ce petit combat d’avant-poste. Repoussés, les paysans vinrent se replier sur le bois de Chemillé. Ce premier recul était un bien mauvais présage. Entre les deux armées, la lutte paraissait d’ailleurs inégale. Moins d’un cinquième des rebelles possédaient un fusil, et encore ceux-là avaient-ils seulement quelques cartouches dans leur besace. Les autres agitaient des massues et des faux emmanchées à l’envers. Lorsqu’il vit que les chefs avaient placé cette troupe de cultivateurs embâtonnés à l’arrière-garde, Antoine ne put retenir un frisson. Leur avenir à tous dépendait de cette masse désordonnée, de ces maîtres Jacques qui évoquaient tout sauf des militaires.
    Les premiers blessés de La Jumellière commencèrent à affluer, portés tant bien que mal par leurs camarades. Dupuy et ses hommes s’étaient installés près de l’église, dans la grande salle commune d’une maison

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