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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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oublié de coiffer son rabalet pour moissonner. Il venait d’avoir quarante et un ans. Ses yeux étaient vifs, légèrement enfoncés, ce qui accentuait l’impression de gravité de son regard et lui donnait, à tort, l’air revêche. Il portait une redingote sombre, un pantalon de siamoise blanc et des bottes de cuir noires. À ses flancs, pendait un grand sabre. Le maintien était celui d’un officier du roi, mais rien, dans son attitude, ne trahissait l’arrogance ou la raideur d’un Morlanges.
    — Qui est cet homme ? demanda Antoine à sa femme.
    — Maurice d’Elbée. Je ne le connais pas personnellement, mais mon cousin Horace m’en a souvent parlé. Contrairement à mon père, il n’était pas hostile aux idées de la Révolution. Mais les massacres, l’anarchie et la mort du roi l’ont profondément écœuré. On me l’a présenté comme un homme d’honneur, courageux dans l’adversité et fidèle en amitié. Ce qui m’a le plus touchée, dans le portrait que m’en a fait Horace, c’est la manière dont il a choisi sa femme, préférant la beauté et le mérite à la fortune. Je crois qu’il te plaira.
    Amélie et Antoine étaient songeurs ; ils se reconnaissaient partiellement dans ce destin dont ils n’avaient pourtant qu’un très vague aperçu. Comme ils se sentaient partagés entre deux mondes et n’appartenaient vraiment à aucun, ils pensaient trouver la même errance chez d’Elbée.
    Mais ils durent sortir très vite de leurs rêveries. Cholet était plongé dans une grande agitation. Les paysans armés, les cavaliers et les chariots de vivres traversaient la ville en tous sens. Les forces républicaines convergeaient par le nord et par l’est formant un arc de cercle qui allait de Chalones à Vihiers. S’il ne portait pas les armes, qu’allait donc faire Antoine ? Il apprit qu’un médecin vendéen, nommé Dupuy, réclamait des bras pour l’assister dans sa tâche. Le peintre n’hésita pas à se porter volontaire et il fut aussitôt recruté.
    Les deux amants se dirent adieu le cœur serré. Amélie avait bien pris soin de rappeler à Antoine sa promesse de ne pas combattre. Elle avait donné de nombreuses recommandations à Jean Laheu afin qu’il veillât sur Antoine. Ce dernier eut beau répéter qu’il n’avait nul besoin d’un chaperon et que d’ailleurs, ce n’était pas lui, mais Jean qui risquait sa vie, elle ne voulut rien entendre et réitéra anxieusement ses conseils. Ils se séparèrent enfin, comme s’ils n’allaient plus se revoir. À vrai dire, Antoine avait déjà couru bien plus de dangers en Belgique ou en Argonne, mais le caractère si incertain du soulèvement, la présence d’Amélie près du lieu des combats, enfin, la certitude que, désormais, les rebelles seraient jugés sommairement puis exécutés, tout exacerbait l’émotion de leurs derniers instants.
     
    Antoine monta dans la charrette du médecin. Le roussin de l’attelage semblait aussi vieux et brinquebalant que le paysan qui le conduisait ; le peintre s’installa à l’arrière, aux côtés du père Hyacinthe Richard et d’un adolescent, nommé Denis Monnereau ; le médecin, quant à lui, était assis à la droite du charretier. Ils marchèrent en queue de colonne. L’ecclésiastique questionnait Antoine tandis que le jeune garçon le dévisageait avec curiosité ; mais chaque fois que Dupuy se retournait, Loisel en profitait pour l’observer. Malgré la simplicité de sa mise, ce quinquagénaire ne manquait pas de prestance. Il était chauve et seule une couronne de cheveux ternes lui enserrait le pourtour du crâne ; mais cette légère disgrâce était comme annihilée par la régularité et la force de ses traits, l’impétuosité de ses sourcils broussailleux et de ses arcades qui pointaient comme des flèches vers son front plissé. À cela s’ajoutait la puissance du regard, toujours prêt à s’embraser ; les rides, les muscles de la face, tout était noueux et tendu ; l’expression était paradoxalement calme, la mine taciturne, ce qui accusait, par contraste, l’aspect tourmenté de cette physionomie. Dupuy ne parlait pas, sauf pour donner des ordres à ses compagnons de route.
    Ils s’éloignèrent de Cholet. Antoine fut saisi par le spectacle de l’armée catholique et royale : dix mille paysans, dont une partie seulement portait un fusil, formaient une longue nuée de chapeaux noirs, qui serpentait dans les chemins du sud de l’Anjou,

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