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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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bourgeoise qu’ils avaient garnie à la hâte de paillasses. Le médecin s’affairait comme un beau diable, hurlant ses ordres à Monnereau et à Antoine. Il commença à scier la jambe d’un pauvre bougre qui avait reçu une pleine décharge de mitraille dans le genou et qui hurlait à la mort. Antoine resta un instant figé devant ce spectacle lugubre auquel il avait déjà assisté en Belgique. C’était comme si le bruit de la scie n’en finissait pas ; l’instrument taillada les chairs avant d’entamer l’os. Dupuy renifla, s’essuya le front, puis jeta le membre sanguinolent dans un baquet.
    — Alors ! cria-t-il à l’adresse d’Antoine, qu’est-ce que vous foutez là ? Allez donc me chercher de l’eau-de-vie et des charpies !
    Antoine sortit immédiatement de sa torpeur. Il était tellement fasciné par le travail du médecin qu’il ne s’offusquait même pas d’être gourmandé comme un valet.
    Une fois sa tâche accomplie, il vit le père Hyacinthe administrer les derniers sacrements à un mourant. Le prêtre était maigre et d’assez petite taille. Avec ses yeux pleins de bonté et la douceur de ses gestes, il ressemblait à une mère penchée sur son enfant. Le blessé s’abandonnait. Il avait l’air apaisé. On voyait à ses mains toute craquelées, aux rides profondes de son visage, qu’il avait passé sa vie à racler la glèbe. Le bruit du canon et celui du tocsin, qui continuait de sonner, empêchèrent d’entendre ses derniers râles. Avec la même douceur, le prêtre lui ferma les yeux, puis se redressa avec difficulté. Il poursuivit alors son ministère, se transformant parfois en infirmier. Tantôt, il redonnait du courage à un jeune homme dont le bras venait d’être arraché par un boulet et qui tournait déjà de l’œil ; tantôt, il aidait lui-même à porter un blessé.
    Pour avoir des occupations différentes, le petit Monnereau n’en était pas moins utile. Antoine l’avait vu agir, toujours vif, rapide et téméraire. Il fallut même le retenir lorsqu’il voulut rejoindre les blessés étendus dans le bois de Chemillé.
    — M’sieur, m’sieur, criait-il de sa voix flûtée, il y en a un autre par ici.
    — J’arrive mon petit, répondait paternellement Dupuy.
    Antoine pensa un instant à Pierre, mais il fut accaparé par sa propre besogne. Il portait à l’extérieur les cadavres des soldats qui venaient de mourir, puis rentrait donner à boire aux survivants.
    Il sortit respirer quelques instants sur la place. C’est alors qu’il vit d’Elbée entrer dans l’église, l’épée au poing. L’officier invoqua le Dieu des armées et fit jurer à ses troupes de combattre jusqu’à la mort. Il était midi et demi. L’attaque principale commençait. Le général républicain, Berruyer, se dirigeait vers le coteau de Saint-Pierre. Les détonations se rapprochaient. Antoine était dans une grande excitation. Lui, qui combattait d’ordinaire à cheval, se sentait dénudé. Pendant quelques secondes, il songea à quitter Dupuy, à trouver une monture et un sabre pour fondre sur ses anciens camarades. Mais il se souvenait de sa promesse et le nombre toujours croissant des blessés l’engageait à rester.
    Les hommes munis de fusils avaient été placés derrière les haies et les meilleurs tireurs en première ligne ; les autres se tenaient massés sur la place devant la façade bicolore de l’église. On entendait de loin le cliquetis de leurs piques et de leurs instruments champêtres qui s’entrechoquaient au milieu des litanies. En fermant les yeux, et si ce n’était le bruit du canon, on eût dit une armée médiévale en partance pour la croisade.
    Antoine nettoyait la plaie d’un soldat, à l’extérieur de la maison qui était déjà pleine d’agonisants, quand il entendit des cris, presque immédiatement suivis d’une formidable fusillade. C’étaient les gendarmes républicains, commandés par Rossignol, qui avaient progressé jusqu’à l’église et qu’un feu de salve vendéen venait de clouer sur place. Les paysans massés devant Saint-Pierre se trouvaient quasiment encerclés. On se battait désormais au corps à corps. Face à l’imminence d’une défaite, Antoine abandonna son blessé. Il s’empara du sabre d’un mort. Jean Laheu avait quitté son cheval et se battait comme un lion, tuant un républicain à chaque fois qu’il mettait en joue. Il vit Antoine se précipiter dans la mêlée ; ils échangèrent un

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