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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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Mais prenez garde aux premiers, je vous le conseille. N’oubliez pas qu’ils sont nos ennemis jurés, et si jamais vous l’oubliez, eux ne l’oublieront pas. Je crois aussi qu’il serait plus prudent que Madame se rende auprès des blessés et que vous, Monsieur, alliez voir les prisonniers, à condition d’être accompagné.
    Ils approuvèrent et sortirent de l’entretien assez troublés. Ils se demandaient s’ils n’avaient pas commis une erreur en venant à Cholet. Mais ils savaient aussi pertinemment qu’ils ne pourraient pas rester en dehors de cette guerre. La jeune femme vit la déception de son mari.
    — Nous paierons les vingt livres, lui dit-elle avec tendresse… Tu m’as promis d’être sage…
    Il eut un sourire forcé, et ils se séparèrent.
     
    Antoine visita les prisonniers pendant une semaine, leur offrant son aide et essayant de les réconforter. Il noua même une amitié avec l’un d’eux. Âgé d’une trentaine d’années, Marc Favier exerçait la médecine à Nantes et s’était enrôlé, sur le tard, dans la garde nationale. Son esprit modéré, sa tolérance auraient pu lui valoir de graves ennuis, mais, en raison de sa timidité, les despotes de l’heure ne l’avaient pas remarqué. Le moment venu, il savait en outre se retrancher derrière la pratique de la médecine.
    À sa demande, Antoine lui apporta secrètement de quoi écrire et fit même parvenir le billet jusqu’à Nantes, en s’assurant toutefois qu’il ne contenait aucun renseignement d’ordre militaire. Favier lui en fut très reconnaissant. Chaque jour, ils parlaient longuement de leurs familles, mais aussi de sciences, de belles lettres et de peinture, heureux de ravir ainsi quelques moments de distraction à la guerre.
    Mais un soir, alors qu’ils discutaient librement, ils réalisèrent qu’un autre prisonnier rôdait autour d’eux. Antoine se pencha vers Favier.
    — Qui est cet homme ?
    — Lui ? C’est Martineau, un riche laboureur des Mauges. Un personnage d’une rouerie et d’une intelligence peu communes. Songez qu’il a réussi le tour de force d’être apprécié à la fois par les chefs royalistes et par les Jacobins les plus exaltés. Avant votre arrivée, c’est lui, et lui seul, qui nous obtenait toutes les petites commodités dont nous avions besoin. Quand nous voulions avoir des nouvelles, c’est encore à lui que nous devions nous adresser. Mais, si j’étais vous, je ne lui confierais que le strict nécessaire. C’est un être avide et fourbe ; malgré tous les biens nationaux dont il a déjà fait l’acquisition, il ne saurait mettre de borne à ses appétits. Vous verrez aussi que le gredin a beaucoup d’instruction pour un paysan ; il a servi d’agent à un ancien seigneur de l’Anjou.
    Antoine réalisa que, de près ou de loin, Martineau avait assisté à tous leurs entretiens. Il se déplaçait toujours silencieusement, se trouvait presque systématiquement là où ne l’attendait pas, se fondait dans la masse, aidé par sa taille médiocre et sa physionomie vulgaire. C’était le genre d’individu que l’on ne remarquait pas et qui, loin de souffrir d’un tel handicap, s’en faisait au contraire un avantage. Il savait tout de ce qui se disait à plusieurs lieues à la ronde et nulle rumeur, aucun projet ne pouvaient lui échapper. Il avait une expression madrée, des yeux vifs et des sourcils qui lui donnaient l’air faussement étonné, comme si la nature elle-même avait façonné cette figure pour la tromperie.
    Il s’approcha en zigzaguant comme un serpent, puis salua le Gascon avec une imperceptible déférence.
    — Monsieur Loisel…
    Antoine répondit d’un mouvement de tête.
    — Si je puis à mon tour vous servir… J’aimerais vous remercier pour les faveurs que vous nous avez accordées.
    Antoine eut l’impression d’être une feuille sur laquelle rampait une limace.
    — Me servir ? N’êtes-vous pas prisonnier tandis que je suis libre ?
    — Eh ! Monsieur, la Providence, qui n’est point trop injuste, en me donnant un certain talent de persuasion a su réparer les disgrâces qu’elle m’a faites.
    Diable ! songea Antoine, ce rustre-là parle en effet comme à l’Académie.
    — Je crains qu’il n’y ait rien que vous puissiez faire, lui dit-il.
    — Et pourtant, insista Martineau, de sa langue la plus miellée, vous qui prîtes tant de risques pour faire parvenir un courrier à…
    — Taisez-vous, malheureux,

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