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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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l’air une odeur de poudre, de bois calciné et mouillé. On entendait gémir les agonisants. Les yeux d’Antoine se fermaient. Il était harassé. Il avait faim et soif. Mais il prit une torche et s’en alla reconnaître les morts des blessés. Le petit Monnereau et deux autres paysans l’accompagnèrent.
    En descendant le coteau de Saint-Pierre, Antoine entendit soudain la voix d’un homme réclamer à boire. Il approcha des broussailles et vit un gendarme grièvement blessé au bas-ventre. Il avait passé plusieurs heures ainsi, à souffrir. Le Toulousain prit sa gourde et lui versa de l’eau lentement dans la bouche. Le soldat le remercia du regard.
    — Emmenons-le sur le brancard, dit Antoine.
    — On ferait mieux de s’occuper des nôtres, regimba l’un des paysans tandis que le petit Monnereau s’exécutait déjà.
    — Ne t’inquiète donc pas, fit Antoine avec un soupçon de lassitude, nous irons les chercher.
    Le Vendéen n’insista pas et ils ramenèrent le gendarme jusqu’à leur hôpital de fortune. Le père Hyacinthe voulut lui donner l’absolution, mais l’homme refusa d’un hochement de tête. Il mourut dans l’heure. Antoine considéra avec tristesse son cadavre, l’uniforme ensanglanté et le rictus de souffrance que les grandes moustaches n’arrivaient pas à masquer. Il savait que ce soldat appartenait à la 35 e division de gendarmerie, composée d’anciens gardes-françaises et de Vainqueurs de la Bastille, c’est-à-dire d’hommes avec lesquels il avait combattu. Ce gendarme aurait pu être Gédéon Pillorge… Il ressentit un profond dégoût pour la guerre fratricide que l’intransigeance des fanatiques avait créée et continuait d’alimenter. Dupuy observait discrètement Antoine. Les deux hommes conservaient encore leur réserve, mais un sentiment de respect mutuel était en train de naître.

XIII
    De retour à Cholet, le Toulousain n’eut même pas le temps de se reposer. La situation était grave. Les troupes de la République se rapprochaient dangereusement de la capitale des Mauges et un nombre croissant de paysans abandonnait la ville. Les prisonniers du château en profitèrent pour s’enfuir avec la bénédiction du comité royaliste. Avant de les suivre, Marc Favier fit ses adieux à Antoine ; les deux hommes se promirent assistance en cas de besoin. Le Nantais proposa même au couple de l’accompagner ; ils seraient sous sa protection, assura-t-il, mais le peintre, sans doute plus lucide, déclina son offre.
     
    C’est au cours des combats du printemps que Loisel apprit à mieux connaître le médecin dont il était devenu le premier assistant. Dupuy était un personnage remarquable. Il faisait partie de ces rares praticiens qui avaient négligé la riche clientèle des villes pour sillonner les campagnes. Plus encore qu’un apostolat, il y avait dans cette course perpétuelle l’expression d’une nature nomade.
    Dupuy avait été chirurgien navigans à Brest, pendant une quinzaine d’années, avant d’être reçu docteur à la faculté d’Angers. Bien plus proche des anciens que des modernes, il avait suivi les cours d’anatomie de Vicq d’Azyr, correspondu avec l’Académie de médecine de Paris et défendu, sans grand succès il est vrai, la diffusion de l’inoculation. Comme les plus éclairés de ses confrères, il préférait l’expérience à la théorie, rejetant cette médecine classificatrice qu’affectionnait tant le siècle. Mieux valait observer, disait-il, que d’avoir le nez plongé dans un grimoire. En ce temps-là, beaucoup de médecins pensaient que la constitution du malade dépendait des variations du baromètre et qu’il fallait se contenter d’accompagner la nature. Dupuy affirmait au contraire qu’il était nécessaire d’en revenir à la pratique, à ce que disait déjà Hippocrate et que les Diafoirus du temps feignaient d’ignorer. Finie la médecine des clystères et des saignées, il fallait rompre avec cette société poussiéreuse qui jargonnait en latin et psalmodiait les erreurs des anciens. Une nouvelle ère scientifique débutait.
    Pour autant, Dupuy n’avait rien à voir avec ces notables des grandes villes qui considéraient de manière hautaine les traditions locales. S’il luttait contre certaines d’entre elles, il lui arrivait souvent de s’y adapter. Il savait que la superstition était un fondement de la société paysanne, que l’on ne pouvait s’y attaquer sans porter atteinte à

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