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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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l’ensemble. Autoritaire et impatient, il agissait toutefois dans ce domaine avec circonspection. Son apparence bourrue dissimulait par ailleurs un cœur de philanthrope. Mi-philosophe, mi-chrétien, il n’avait cessé d’alerter les autorités sur la situation des campagnes, qu’il savait trop misérables et enclavées pour recevoir la visite du médecin ; les paysans étaient abandonnés à des chirurgiens incultes, aussi dangereux qu’une troupe de janissaires. Plus souvent encore, ils étaient sous la coupe de charlatans et d’empiriques en tous genres 1  : marchands d’orviétan, qui arpentaient les foires affublés de costumes bariolés ; paysans jugeurs d’eau, qui auscultaient les urines en prenant l’air savant ; rhabilleurs, qui patinaient les corps des hommes comme celui des bestiaux après avoir avalé quelques lampées de gnôle… Mais, entre deux maux, mieux valait un bon rebouteux qu’un mauvais chirurgien.
    Il fallait donc se résoudre à voir les paysans attacher des crapauds morts aux cous de leurs enfants pour les guérir de la colique. On laissait faire le curé, plus souvent le sorcier, lorsqu’il prétendait délivrer une femme enjominée par le démon. Et l’on ne pipait mot quand la matrone du voisinage venait, les mains enduites de saindoux, procéder à l’accouchement.
    Bien que respectueux de la société paysanne, il arrivait aussi à Dupuy d’entrer dans de fracassantes colères. Il avait vu trop d’enfants décimés par la variole, trop de paysans que d’ignorants fraters avaient littéralement vidés de leur sang… Combien de fois les cultivateurs s’étaient-ils résolus à l’appeler en dernier recours, quand il était déjà trop tard ou presque, lorsque les médicastres avaient conduit leurs patients au seuil du tombeau, terrassant leurs dernières forces, empoisonnant leur sang par des décoctions à l’antimoine ou des électuaires trop fortement dosés en mercure ! Mathieu Dupuy avait botté le derrière de quelques-uns de ces drôles et, plusieurs fois, il avait eu envie de les envoyer rejoindre leurs victimes au cimetière.
    Grâce à son enseignement, Antoine sut reconnaître les symptômes des affections les plus fréquentes, comme le scorbut, qui affligeait les gens du Marais, et que l’on repérait aux gencives ulcérées, aux bouches édentées, aux haleines fétides. Il découvrit que les femmes qui tissaient le chanvre ou le lin jusqu’à deux heures du matin, dans les caves du Niortais, avaient souvent des fluxions de poitrine. Il apprit surtout à soigner une plaie externe par des applications d’eau-de-vie et de styrax ou par un mélange de beurre et de jaune d’œuf. Comme, en temps de guerre, on devait remplacer les drogues des apothicaires, souvent inaccessibles, Dupuy lui enseigna à herboriser sur place, à désigner le nom de quelques plantes en patois et à distinguer leurs vertus médicinales. Quant aux plaies par balles entrantes, aux mutilations, il n’était évidemment pas question pour Antoine de s’en occuper. Sans pourtant connaître les travaux de Percy, qui servait alors dans les armées de la République, Dupuy savait d’expérience qu’une amputation réalisée très tôt réduisait considérablement les risques de gangrène. C’est sur les vaisseaux du roi, pendant la guerre d’Amérique, qu’il avait presque tout appris dans ce domaine, comme en matière de scorbut ou de maladie vénérienne.
    Là où il ne pouvait agir, faute de connaissances et de pratique, Antoine assistait donc rapidement le médecin. Il avait déjà acquis quelques solides rudiments lorsque débutèrent les grandes batailles du printemps 1793.
     
    L’armée vendéenne fondit d’abord sur Bressuire, qui venait d’être évacuée à la hâte par les républicains. Pendant plusieurs jours, Amélie avait préparé des vivres pour ravitailler les insurgés. C’était un véritable convoi que le jeune couple, assisté par des paysans de La Boissière, apporta avec lui.
    L’entrée dans Bressuire fut impressionnante. Vingt mille paysans armés se tenaient joyeusement dans les rues ; ils formaient une haie d’honneur et criaient « Vive le Roi ! » en agitant fièrement leurs chapeaux ou leurs armes ; comme dans chaque ville conquise, les cloches sonnaient à toute volée. En voyant ces hommes pleins d’espérance, en écoutant leurs chants, leurs prières et leurs cris, ils ne purent s’empêcher d’être émus. Devant eux, sur la

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