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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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paysan, colporteur et voiturier, commandait en principe aux comtes, chevaliers, marquis et autres cordons rouges 2 de l’armée…
    Tout pouvait encore basculer. À Paris, le coup de force des Montagnards contre l’Assemblée nationale avait ouvert une crise sans précédent 3 . Une soixantaine de villes et de départements s’était soulevée contre les nouveaux maîtres de la République.
    C’est avec une nervosité particulière qu’Amélie attendit l’issue de la bataille. Les choses se présentèrent mal. Les colonnes vendéennes, qui se trouvaient sur la rive droite de la Loire, furent retardées toute la nuit dans le bourg de Nort par la résistance des volontaires nationaux. Ne voyant pas venir le reste de l’armée, Charette, puis Bonchamps abandonnèrent le terrain. Enfin les troupes républicaines se défendirent avec une grande fermeté.
    Mais tout n’était pas perdu. Après dix-huit heures de combat, Antoine et les Vendéens parvinrent jusqu’au centre-ville. Le Toulousain avait les joues cuisantes et les yeux injectés de sang. Il devait encore ravaler cette tension, mélange d’angoisse, de faim et de veille, qui lui tordait constamment les entrailles. Il puisa dans ses dernières forces. Il sentait la victoire à portée de mains. Il entendit soudain une terrible clameur. Les paysans s’abandonnaient au désespoir. On eût dit que le ciel s’écroulait sur leur tête. Ils hurlèrent : « Cathelineau est blessé ! Cathelineau est mort ! » et répétèrent ces mots pathétiques, comme s’ils essayaient eux-mêmes de s’en convaincre. Antoine partagea leur désarroi. Tout ce sang versé, toute cette fatigue, pour repartir la tristesse et la rage au ventre. Le général en chef expira quinze jours plus tard. Le rêve fou des Loisel s’était évanoui.
    1 - L’empirique est l’incompétent qui s’ignore, contrairement au charlatan, qui est conscient de son ignorance. Sous l’Ancien Régime, les chirurgiens faisaient partie d’une corporation qui, à l’origine, n’était pas séparée de celle des barbiers.
    2 - C’est-à-dire aux titulaires de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis. Les cordons bleus étaient les commandeurs de l’ordre du Saint-Esprit, la plus illustre décoration de la monarchie, instituée par Henri III, en 1578.
    3 - Le 2 juin 1793, 80 000 sectionnaires et membres de la garde nationale parisienne assiégèrent la Convention en réclamant la destitution des députés girondins. Plusieurs villes et départements s’insurgèrent contre ce coup de force qui marqua le véritable début de la guerre civile.

8
    Les ombres
    Sur le chemin de Beaupréau à Cholet,
    le 17 octobre 1793

I
    La marche de l’armée était presque silencieuse. Et pourtant, près de quarante mille paysans se dirigeaient vers Cholet pour affronter les troupes de la République. On entendait seulement le roulement des caissons, le claquement des sabots ferrés et le pas désordonné des chevaux. Était-ce d’ailleurs une armée ou un convoi funèbre ? La troupe avançait, tête baissée, sous le ciel bas d’octobre ; ici et là des nuées de corbeaux voltigeaient entre les arbres à demi effeuillés. C’était l’un de ces calmes terrifiants qui précèdent les grandes tempêtes. Il n’y avait plus de chants joyeux ni d’enthousiasme, mais des regards lourds, des visages tendus et fiévreux. Tous le savaient, cette bataille serait décisive ; c’était le sort même de la Vendée qui se jouait. Les hommes ne se battaient plus pour le roi, ni même pour l’Église, mais pour la survie de leurs familles, pour ne pas voir leurs femmes violées, leurs villages pillés et incendiés. Ils avaient déjà fait le sacrifice de leur vie. La nuit précédente, ils s’étaient agenouillés et avaient reçu l’absolution de leurs bons prêtres . Aujourd’hui, ils formaient cette vaste horde loqueteuse et superbe qui s’ébranlait dans les chemins de l’Anjou. Antoine admirait ses compagnons d’armes. Depuis sept mois, ils tenaient tête à toutes les armées de la République ; ils avaient mené des centaines de combats et emporté plus d’une dizaine de villes, marchant sans relâche d’un champ de bataille à un autre, abandonnant leur famille et courant la lande ou le Bocage comme une meute de loups affamés. Beaucoup faisaient peine à voir avec leur bras en écharpe, leur tête bandée de linges sanglants, leur visage maigre, noirci par la poudre. Depuis l’aube,

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