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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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à Segré. Il fallait endurer la faim, mais aussi l’épuisement et le froid. Sur la route de Château-Gontier, Amélie tenta de se protéger de la pluie fine et glacée à l’aide d’une bâche déchirée. Elle somnolait, ballottée par le cahot de la charrette, constamment réveillée par le tumulte des cavaliers qui remontaient la colonne au grand trot, aiguillonnée surtout par les frissons de la fièvre, les diarrhées, les courbatures et tous les supplices que lui infligeait son corps brisé.
    À l’aube, Antoine rendit visite au marquis de Lescure. Les secousses de sa berline faisaient tellement souffrir le général que son équipage marquait des pauses régulières pour le soulager. Assise près de lui, sa fidèle Agathe lui soutenait la tête depuis des heures. Antoine se contenta de regarder Lescure à travers la lucarne. Ouvrir seulement la portière, laisser passer le moindre courant d’air, revenait à lui infliger d’inutiles tortures.
     
    Ils reprirent la route. Les Vendéens durent se battre à chaque étape de leur parcours, pour avoir chaud, pour manger et dormir quelques heures dans un lit. Comment croire qu’une telle masse d’éclopés pût encore vaincre ? Et ce fut pourtant le cas. Cette troupe hirsute, encombrée de vieillards et de blessés, de femmes et d’enfants, dispersa toutes les forces républicaines qui lui furent opposées.
    Quand l’armée entra dans Laval, beaucoup d’habitants manifestèrent bruyamment leur joie. Ils avaient agrafé une cocarde blanche à leur feutre et criaient à pleins poumons : « Vive le Roi ! » Toutes ces démonstrations trop ostensibles attristaient Antoine ; il savait que ces gens risquaient leur vie, que les républicains reviendraient bientôt, et avec eux, les délateurs, les tribunaux, la guillotine. En apercevant les regards biaisés de quelques-uns, il crut distinguer ceux qui dénonceraient leur voisin au comité de surveillance et viendraient, couverts des mots de patriotisme ou de vertu, témoigner devant les commissions militaires. Et il sentit flotter dans l’air toute la puanteur de la guerre civile.
    Il n’avait pourtant éprouvé aucune pitié pour les sept Jacobins exécutés à Candé. Seule la mort du curé constitutionnel lui avait semblé un meurtre pitoyable. À Château-Gontier, il avait vu ce colosse de Marigny, qui commandait l’artillerie, tuer plusieurs républicains de ses propres mains. Marigny était un homme dur que le Toulousain n’aimait guère. Mais ce jour-là, il l’avait approuvé. Les royalistes venaient d’apprendre que tous leurs blessés avaient été massacrés dans l’hôpital de Candé. La violence, la mort et la haine étaient devenues si courantes qu’Antoine ne fut nullement bouleversé par ces représailles ni par le caractère collectif de la peine. Ce n’était d’ailleurs pas les rares vengeances exercées par les royalistes qui l’étonnaient, mais bien la mansuétude dont ils faisaient preuve envers leurs ennemis. Quels hommes étranges, ces Vendéens ! Ils libéraient leurs prisonniers après leur avoir arraché la vague promesse de ne plus combattre contre eux, puis se bornaient à leur couper les cheveux pour reconnaître les parjures. La morale a parfois de ces sublimes naïvetés.
    Mais, avant tout, il fallait assouvir quelques besoins essentiels. À Laval, les Loisel purent manger à leur faim et prendre un peu de repos. Ils logèrent chez un marchand de grains, nommé Francis Pannetier, un homme affable qui, malgré son âge avancé et la vivacité de son esprit, n’avait pas encore mesuré toute la perversité de la nature humaine. Son œil étincelait de curiosité et l’on voyait que la perspective d’une conversation le mettait en appétit. C’était l’un de ces lettrés de province qui avaient fait la gloire anonyme du siècle. République ou monarchie, peu lui importait le régime, pourvu que l’on respectât les droits de l’homme et les principaux acquis de la Révolution.
    Bien que tapie dans l’ombre du maître, Agnès Pannetier avait en réalité une intelligence bien plus souple que celle de son mari. C’était une femme encore jeune, qui savait séduire par son humour, sa modestie et la sûreté de ses jugements. Elle se montra très attentionnée avec les Loisel. Elle leur donna du linge propre ; ils purent ainsi remplacer les hardes couvertes de vermine qu’ils portaient depuis Cholet. Antoine fit tout pour éviter de compromettre ses

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