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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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hôtes, affectant une certaine rudesse avec eux lorsqu’ils étaient en public. Mais le soir, une fois les rideaux tirés, ils soupaient en paix et parlaient à la manière des gens civilisés et, pour ainsi dire, comme les membres d’une même famille.
    Le lendemain de leur arrivée, Jean Chouan et six mille Bretons se rallièrent à la Grande Armée 1 . Antoine les vit entrer dans Laval, par le faubourg Saint-Jean, précédés du drapeau blanc. Ces hommes avaient l’allure farouche avec leur grand chapeau de feutre noir, leurs longs cheveux tombant sur leurs épaules et leur veste en peaux de bique. La plupart de ces combattants aguerris faisaient le coup de feu contre les républicains depuis près d’un an et demi.
    Antoine erra un moment dans les rues pendant qu’Amélie se reposait. Près de l’hôpital, il aperçut Dupuy et le père Hyacinthe. Ils échangèrent un sourire. C’était leur manière d’exprimer leur joie de se retrouver en vie. L’épuisement avait rendu le médecin méconnaissable. Il faut dire qu’il n’avait pas ménagé sa peine depuis des mois, soignant aussi bien les royalistes que les républicains.
    — Où est-ce petit diable de Monnereau, plaisanta Antoine ?
    Le visage de ses interlocuteurs se ferma.
    — Il est mort à la bataille de Cholet, répondit le père Hyacinthe. Je l’ai enterré moi-même.
    Dupuy changea aussitôt de conversation.
    — Loisel, laissez-moi vous présenter Henri Bonin, qui est médecin à Laval. Bien que républicain, il est venu nous proposer son aide. Elle ne sera pas superflue. J’ai ici une centaine de blessés et, en trois jours, je n’ai pas dormi plus de cinq heures.
    — Avez-vous appris ce qu’ils ont fait aux blessés de Candé ?
    L’expression de Dupuy se transforma subitement. Il répondit avec colère, comme s’il était lui-même responsable de ce crime
    — Bien sûr que je sais ! dit-il, avant d’ajouter, tout aussi furieux : comment aurais-je pu les emmener ? C’était impossible !
    Le père Hyacinthe adressa un geste d’apaisement à Antoine. Celui-ci voyait bien que la culpabilité alimentait la colère de Dupuy. Il décela aussi, dans cette réaction, toute l’incompréhension de l’humaniste confronté à la barbarie. Dupuy l’ignorait encore, mais les blessés qu’ils venaient d’abandonner à Château-Gontier avaient tous été égorgés ou jetés vivants dans la Mayenne.
     
    Alors qu’il franchissait la porte de Pannetier, Antoine avait encore en tête ces images sordides et songeait au visage poupin du petit Monnereau.
    Amélie l’attendait dans la chambre. Elle était étrangement souriante.
    — Te voilà bien gaie, lui dit-il, interloqué.
    — Assieds-toi ! commanda-t-elle sans quitter son sourire.
    Elle lui présenta un grand paquet.
    — Ouvre donc !
    Antoine obtempéra. La situation lui paraissait tellement étrange, un cadeau au milieu d’une telle misère !... Quand il découvrit des feuilles de papier à dessin, des mines de plomb et des crayons, il fut submergé par l’émotion…
    — Il y a si longtemps… Où les as-tu trouvés ?
    — Je les ai demandés à Pannetier, et il me les a obtenus dans l’heure.
    Antoine caressait le papier, le sentait. Il ne trouvait pas les mots pour la remercier. Amélie voyait sa joie et cela lui suffisait. Tous deux savaient pertinemment qu’Antoine n’aurait sans doute pas le temps de dessiner, mais peu importait, le lien n’était pas rompu ; c’était un espoir, comme si Amélie lui disait que sa passion n’était pas morte avec la guerre.
     
    Le jeune homme profita toutefois d’une brève accalmie, entre deux batailles, pour déballer ses crayons et son papier à dessin. La démarche n’avait rien d’insolite ; il essayait seulement de ne pas perdre la raison ; il sentait qu’il devait immortaliser la détresse de ces gens, qu’un jour peut-être, ils seraient jugés moins sévèrement. Il parvint à croquer rapidement Brise-Fer, Mange-Groles et Cœur-de-Roi. Ce fut parmi ses dessins les plus poignants. Il sut restituer la tragédie et la nature profonde de ces trois paysans. Le coup de crayon fit renaître la bonhomie un peu triste du colosse Jean-Paul. Il le représenta avec la petite croix de saint Benoît que le rustre avait attachée à son cou pour se protéger du cheval Mallet – le Merlet, comme on l’appelait parfois dans le pays de Retz, une monture magnifique, toujours richement sellée, qui apparaissait la

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