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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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s’endormaient sur leur monture, malgré les gémissements de la foule, la lueur des flambeaux, le fracas des voitures. Le jour se leva enfin, dévoilant une scène invraisemblable. Près de quatre-vingt mille personnes, soldats, femmes, vieillards et enfants, fuyaient vers la Loire dans la plus grande confusion.
     
    Luttant à chaque instant contre la fatigue, ils examinèrent les fugitifs, cherchant à distinguer le visage de leurs proches au sein de cette marée humaine. Dans un tel chaos, le passage de Saint-Florent serait sans doute l’endroit idéal pour continuer leurs recherches.
    Postés sur la hauteur qui surplombait la plage, ils découvrirent un spectacle stupéfiant. Plusieurs milliers de personnes étaient entassées près du rivage. À cela s’ajoutaient le tumulte, les cris de panique, les pleurs des nourrissons, le hennissement des chevaux… Que l’on se représente encore les centaines de blessés agonisants dans les charrettes, les prisonniers terrorisés, les familles séparées par un bras du fleuve s’adressant de grands gestes faute de pouvoir s’entendre, enfin les femmes recherchant leurs maris et les parents leurs enfants, que l’on conçoive tout cela, et l’on aura une idée encore très imparfaite de ce que découvrirent Amélie et Antoine en cette matinée du 18 octobre 1793.
    Devant eux, la foule se bousculait sur les berges du fleuve. À leur droite, un groupe entourait un prêtre dont les litanies se perdaient dans un vacarme de fin du monde. À gauche, des officiers, qui n’étaient plus écoutés par la troupe, portaient eux-mêmes des gargousses 1 . Un peu plus loin encore, des hommes fabriquaient des radeaux à l’aide de longues futaies. Mais nulle part, ils ne virent Laheu, Loubette ou Morlanges.
     
    Soudain, ils aperçurent le marquis de Lescure que des hommes transportaient dans un lit couvert. Ils s’approchèrent et découvrirent avec effroi la tête fracassée du général. Un mélange de sang, de sueur et de pus collait ses cheveux par plaques sur son front défoncé. La balle avait pénétré au-dessus du sourcil avant de ressortir par l’arrière du crâne. Amélie avait sous les yeux l’image insoutenable de ce qui pouvait arriver à Antoine. La réalité la foudroyait de son expression laide et brutale. Bonchamps, d’Elbée, Lescure, lui avaient toujours semblé immortels ; et ils n’étaient plus désormais que des morts en sursis.
    — Nous ne vous quitterons pas, général, dit le Toulousain au marquis d’une voix étranglée par l’émotion.
    Lescure se contenta de lever la main ; Antoine se tut pour ne pas le fatiguer davantage. Des paysans conduisirent alors l’officier jusqu’à une maison de Saint-Florent où il fut rejoint par plusieurs généraux royalistes.
    À peine l’avaient-ils quitté, que les Loisel entendirent des appels au meurtre. Enragés par la vue de leurs chefs agonisants, des paysans voulaient massacrer les quatre ou cinq mille prisonniers républicains qu’ils avaient enfermés dans l’abbaye de Saint-Florent. Que faire de ces hommes ? On ne pouvait les emmener ni les abandonner. Leur présence sur les arrières d’une armée aux abois pouvait se révéler dangereuse. La plupart des officiers furent d’avis de les fusiller. Mais personne ne se précipitait pour exécuter la sentence. Dans la rue, fusaient déjà des appels à la clémence : « Grâce aux prisonniers », « Vive le Roi ! »
    Antoine alla aux nouvelles. On lui apprit que Bonchamps, expirant, venait de demander la grâce des Bleus. Tous les prisonniers furent libérés.
    Il fallait trouver au plus vite un moyen de traverser la Loire. Il était trop dangereux de rentrer à La Boissière. Une soixantaine de barques effectuait désormais la navette entre les deux rives du fleuve, faisant une étape sur l’île Batailleuse, déjà noire de monde. Amélie monta derrière le cheval d’Antoine et ils passèrent à gué. Par chance, les eaux étaient basses ; un homme pouvait traverser sans se mouiller la taille. Épuisé, le cheval n’avançait qu’avec peine. Une fois sur l’île, ils attendirent une embarcation. Le temps était froid et clair. Une mère cherchait du lait pour son bébé qui hurlait. Ils parvinrent finalement à bon port. Ils n’avaient emporté qu’un peu d’argent et les derniers bijoux d’Amélie. Ils étaient épuisés, complètement démunis, mais soulagés d’être ensemble.
     
    Les quatre hommes qui

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