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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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obsédée par le sort de sa dépouille. Elle savait que les républicains avaient déterré le corps de Bonchamps et coupé sa tête pour la porter à la Convention.
    Les royalistes atteignirent Granville le 6 novembre. Ils comptaient prendre le port d’assaut afin d’y attendre une escadre anglaise. Les Loisel retrouvèrent l’espoir qu’ils avaient caressé quatre mois plus tôt devant Nantes. Si l’armée prenait Granville, ils pourraient facilement rejoindre les îles anglo-normandes et peut-être parvenir jusqu’à Londres. Le projet paraissait un peu fou, mais les Vendéens avaient accompli tant de miracles…
    L’attaque fut un échec. Le spectacle de ces paysans qui couraient sous la mitraille en portant de simples échelles était pathétique. La troupe épuisée se débanda pour se replier sur Avranches. Les généraux voulurent progresser en Normandie, mais les paysans refusèrent. Ils n’en pouvaient plus. Ils étaient prêts à se soulever ; ils voulaient rentrer chez eux, retraverser la Loire. Ce qui restait de la Grande Armée, encombrée des femmes et des enfants, reflua en désordre vers le sud.
     
    Un bruit se répandit soudain dans les rues d’Avranches.
    — Les généraux veulent nous abandonner ! disaient les uns avec effroi.
    — Le prince de Talmont et plusieurs officiers ont tenté de s’embarquer en secret avec des dames de la noblesse, prétendaient les autres.
    Amélie et Antoine n’essayaient même pas de savoir la vérité. La nouvelle les avait troublés, parce qu’ils pensaient à leur propre envie de fuir et surtout à la mauvaise conscience que leur donnait désormais cette perspective. Antoine voyait que sa femme s’affaiblissait de jour en jour. Rester avec l’armée, c’était la condamner. Si elle ne mourait pas d’épuisement, elle serait tôt ou tard exécutée. D’un autre côté, l’idée de fuir lui répugnait, fuir c’était abandonner ses amis, Brise-Fer, Mange-Groles, Cœur-de-Roi, des hommes qui leur avaient sauvé la vie. Il y avait aussi toutes ces femmes, ces blessés, ces enfants, et puis Loubette, le père Hyacinthe, Dupuy… Mais dès qu’il songeait au salut de sa compagne, le choix lui paraissait évident. Il devait la sauver.
    L’équipée de Talmont lui suggéra donc l’idée de trouver un navire. Il fallait agir vite pendant que l’armée était encore près des côtes. Mais il y avait deux difficultés à résoudre : convaincre Amélie et, surtout, trouver un homme de confiance qui les aiderait à s’embarquer.
    Le soir même, il parla de son projet à sa femme.
    — Je ne pourrai jamais abandonner ces gens qui nous ont fait confiance, dit-elle, Loubette, Laheu et tous les autres… Hier encore, j’ai vu un père pleurer parce qu’il venait d’enterrer un de ses fils mort à Granville. Il en avait déjà perdu deux à Luçon. Et ce matin, j’ai soigné Jérôme, le dernier-né de Loubette. Il me regardait avec ses grands yeux d’enfant malade qui lui mangeaient la figure. Il n’a que sept ans et il va mourir. Comprends-tu, j’aurais l’impression de déserter.
    — Ta mort ne les sauvera pas.
    — Même s’il n’y avait pas tous ces gens et que mon honneur n’était pas en jeu, je n’aurais plus la force de faire un tel voyage. Je suis souffrante. Je pourrais à peine monter à cheval.
    — Je te soutiendrai
    — Je sais, mais je serai un fardeau, et je ne le veux pas.
    Désespérant de la convaincre, Antoine utilisa un dernier argument qu’il jugea infaillible.
    — Et si je mourais au combat, si j’étais fusillé par les Bleus ? Jusqu’à présent j’ai eu de la chance, mais…
    Amélie ne s’attendait pas à un argument pareil venant de son mari. Il avait touché un point sensible. La surprise la fit balbutier.
    — Évidemment, je… Ta vie est plus importante que tout.
    — Vouloir vivre ne fait pas de moi un lâche…
    — Non, bien sûr.
    — Quel est le plus important, ton honneur ou ma vie ?
    — Tu le sais bien, Antoine, arrête de me torturer inutilement. J’abandonnerais tout pour toi, jusqu’à ma dignité, je n’ai pas besoin de le prouver.
    — Alors ta décision est prise. Nous partons.
    Amélie baissa la tête pour capituler et signifier son extrême lassitude.
     
    Il faisait nuit. Elle dormait près de lui dans la chambre d’Avranches où une famille avait bien voulu les accueillir, malgré les risques politiques, la contagion, l’odeur et la saleté. Ils avaient pu se

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