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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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l’embarcation, en prenant soin, bien sûr, de ne lui faire aucun mal. Une telle femme serait capable de se précipiter à l’eau. Le cœur d’Antoine battait la chamade. Il continuait d’imaginer l’impensable. Dans peu de temps, il allait quitter son Amélie, sans doute définitivement. Autant s’arracher les entrailles.
    Perrochon fronça soudain les sourcils. Il scruta l’horizon avec plus d’attention. Antoine examina à son tour les flots noirs qu’éclairait faiblement un quartier de lune. Il aperçut alors une lumière intermittente.
    — Allume ta lanterne ordonna Perrochon à son acolyte, et réponds-lui !
    L’homme obéit. Il masqua trois fois la lumière de la lampe à l’aide d’un linge, s’arrêta quelques instants, puis recommença l’opération.
    L’angoisse d’Antoine atteignait des sommets. Il craignait toujours d’entendre le piétinement des chevaux, ceux des hussards qui viendraient les arrêter avec la complicité de l’aubergiste. Mais il n’entendait rien. Il se concentra sur la séparation imminente. Il distinguait déjà la forme noire d’une barque qui se dirigeait vers eux. Il sentit une bouffée de chaleur l’envelopper malgré le froid mordant de cette nuit de novembre. Toujours pas de claquement de sabots, seulement le murmure lancinant du ressac et le tambourinement endiablé de son cœur. La barque était maintenant bien visible. Deux hommes se trouvaient à l’intérieur. Le compagnon de l’aubergiste alla à leur rencontre ; il avait de l’eau jusqu’aux cuisses ; tout en stabilisant d’une main l’embarcation, il se tourna vers le rivage.
    — Venez, Madame, il faut faire vite !
    Antoine porta sa femme dans ses bras et l’emmena jusqu’à la barque, puis les deux pêcheurs l’aidèrent à monter.
    C’est alors que tout bascula. La scène dura quelques minutes qui semblèrent une éternité. Les regards étaient braqués sur Antoine. En raison des ténèbres, on ne distinguait pas l’expression des visages, mais seulement les silhouettes. Bien qu’elle ne durât qu’un instant, l’immobilité du jeune homme parut tellement étrange à sa femme, qu’elle comprit subitement tout ce qu’il avait tramé. Alors qu’un des marins commençait à ramer vers le large, elle tenta de se précipiter à l’eau, comme Antoine l’avait prévu. Mais le second marin, bien préparé à sa mission, l’en empêcha en l’agrippant solidement par les épaules. Elle commença à se débattre furieusement, criant le prénom de son mari.
    — Faites-la taire, non de Dieu ! gueula Perrochon, elle va alerter une patrouille.
    Antoine était désemparé. Il ne pouvait pas l’abandonner ; c’était au-dessus de ses forces ; tout son projet, toute sa détermination s’évanouirent en un clin d’œil. Il fallait faire vite, la barque s’éloignait. Dans quelques secondes seulement, il ne pourrait plus la rattraper. Amélie continuait de crier. Dans l’obscurité, le marin semblait la violenter. La scène était insupportable.
    — Je pars avec elle, lança-t-il soudain.
    — Et l’argent, grogna l’aubergiste, je croyais que vous ne l’aviez pas sur vous ?
    — Je vous ai menti par sécurité, prenez aussi nos chevaux. Je vous donnerai tout ce que j’ai, mais laissez-nous partir ensemble.
    Antoine eut l’impression de voir étinceler les yeux de Perrochon comme deux braises au fond de l’âtre.
    — Eh ! vous autres, cria-t-il, comme si le bruit désormais ne l’inquiétait plus, revenez ! Revenez donc ! Monsieur part aussi.
    Après une courte hésitation, la barque fit demi-tour. Antoine se tourna vers Perrochon.
    — Je vous ai mal jugé, lui dit-il. Merci. Vous nous sauvez la vie.
    L’aubergiste se contenta de hocher la tête, c’est en tout cas ce que le Toulousain crut discerner dans les ténèbres.
    Antoine monta dans la barque et ils reprirent la direction du large. Les deux amants se blottirent l’un contre l’autre.
    — Comment as-tu pu imaginer ?…
    Amélie n’eut même plus la force de terminer sa phrase. L’émotion, le froid, la fatigue l’avaient brisée. Antoine lui frictionna les épaules pour tenter de la réchauffer. Comme il était resté plus longtemps qu’elle dans l’eau, il claquait des dents. Les marins ne parlaient pas. Ils se contentaient de souquer. Ils aperçurent bientôt la masse sombre du bateau de pêche qui devait les accueillir. C’était un lougre gréé de trois mâts à pible comme on en

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