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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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bête aux abois. Les Loisel connurent de nouveaux réveils en pleine nuit, des scènes de massacres et de panique ; ils virent des femmes épouvantées jeter leurs bébés dans les fourrés, des paysans courber une dernière fois l’échine devant la Croix, au milieu de cris et du sifflement des balles… et puis toujours les cadavres, dans les rues, les champs et les fossés, les paillasses puant l’infection, le regard terrible des enfants que la maladie et la faim dévoraient à petit feu.
    Le mari de Loubette enterra leur dernier-né près de la route de Laval. Le grand-père lui avait sculpté une petite croix de bois. La mère, quant à elle, ne poussa ni cris déchirants ni longs gémissements. Elle eut seulement une aspiration, mais une aspiration si puissante, si douloureuse, qu’elle laissa l’assistance complètement ébranlée. C’était désormais leur avenir que toutes ces familles de gueux enterraient par charretées entières. Certains disaient qu’ils préféraient se rendre et être fusillés pourvu que leurs petits fussent recueillis par les républicains.
     
    Ce fut enfin le retour à Laval. Amélie s’était levée, mais elle avançait avec peine. Ils allèrent rendre visite à leurs amis Pannetier dont ils n’osaient plus solliciter l’hospitalité.
    Antoine frappa plusieurs fois à l’entrée de l’immeuble, mais personne ne répondit. Ils allaient partir quand la domestique des Pannetier entrouvrit la porte.
    — Faut partir, chuchota-t-elle, vous allez tous nous faire tuer.
    — Où sont tes maîtres ?
    La femme baissa la tête.
    — Parle donc !
    — Monsieur a été guillotiné.
    Amélie se sentit défaillir.
    — Et Madame ? demanda Antoine.
    — Elle est là, avec son chagrin, mais elle ne veut pas vous voir ; elle vous maudit. Vous avez apporté le malheur dans sa maison.
    Alors qu’Amélie pleurait, Antoine frémissait de colère.
    — Qui ? demanda-t-il simplement, pour dire « qui les a dénoncés » ?
    La bonne femme se contenta de regarder avec insistance une façade de pierre, de l’autre côté de la rue.
    — Son nom ?
    Au lieu de répondre, la domestique se mit à sangloter de peur.
    — Laisse-la, Antoine, supplia Amélie, tu vas la mettre en danger, elle aussi, il y a eu assez de sang…
    Mais le Toulousain était emporté par sa rage. Il se précipita vers la maison que la domestique lui avait indiquée et frappa à grands coups de crosse et de botte sur la porte d’entrée. Il hurlait comme un damné.
    — Ouvrez ! Scélérats, ouvrez ! Ou j’incendie votre foutue maison !
    Il saisit au passage un garçonnet qui avait assisté à la scène et qui était lui aussi transi de peur.
    — Toi, tu sais quelque chose, parle ou je te brise les os !
    Amélie avait beau supplier, crier, tirer Antoine par la manche, il s’était transformé en bête furieuse ; il la repoussa sans ménagement. C’était comme s’il allait enfin tenir leur persécuteur, le responsable unique, l’incarnation de tous leurs malheurs. Et c’est sur cette personne qu’il avait besoin de décharger sa fureur.
    — C’est la Gantier, M’sieur, c’est elle qui a dénoncé M’sieur Pannetier ! Moi j’l’aimais bien M’sieur Pannetier, m’faites pas de mal, M’sieur.
    Antoine laissa filer le garçon et s’engouffra dans la maison. Il en sortit par les cheveux l’occupante, après qu’elle eut avoué s’appeler Simone Gantier. Il n’avait même pas reconnu la femme qui les avait épiés lors de leur départ de Laval.
    Un vaste attroupement s’était déjà formé dans la rue. Des officiers, des paysans venaient aux nouvelles. Certains encourageaient Antoine, d’autres essayaient vainement de le calmer, mais la plupart étaient tellement épuisés qu’ils assistaient au spectacle avec indifférence. Des hommes, des femmes, des enfants, il en tombait des centaines chaque jour, alors un mort de plus ou de moins…
    — C’est toi, charogne, qui a dénoncé ce brave homme, tu vas payer, fit le Gascon, l’écume aux lèvres.
    La délatrice ne bronchait pas. Elle conservait ce même visage arrogant et envieux qu’elle avait eu lorsque Pannetier avait été emmené par les républicains.
    Le Toulousain avait sorti son pistolet et l’appuyait déjà sur la nuque de la femme qu’il avait mise à genoux.
    — Antoine, je t’en supplie, ne te souille pas d’un crime…
    — Tais-toi, cette putain va payer !
    — Je t’en supplie, tu me fais peur

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