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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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sacrifices, nous leur devons bien cela maintenant que… Faites une prière pour nous, mon enfant, je n’en demande pas davantage.
    Antoine eut la gorge nouée. Il donna un coup de talon sur les flancs de son cheval et s’éloigna.
     
    Il était temps ; un groupe de cavaliers avait déjà rejoint le carrosse qui précédait le convoi de Dupuy. À l’intérieur, se trouvaient trois femmes de la noblesse et un gentilhomme septuagénaire. Ils furent saisis d’effroi en découvrant l’aspect des hussards de la mort . Avec les motifs de crâne et de tibias cousus sur leur mirliton, leur sabretache et l’avant-bras de leur pelisse, avec ses symboles dont la blancheur macabre tranchait sur le noir de leur uniforme, ces cavaliers de l’Apocalypse semèrent instantanément l’épouvante dans les rangs des fugitifs.
    Ils commencèrent par briser le crâne du vieillard qui se convulsionna pendant quelques instants sur le bord du chemin ; ils n’eurent même pas la charité de l’achever ; puis, comme les femmes n’avaient pas l’air malade, ils prirent le temps de les violer. Pendant que trois d’entre eux les besognaient avec une indicible violence, les autres surveillaient le convoi ou fouillaient les hardes des morts à la recherche de leur argent. Une fois qu’ils eurent fini, ils éventrèrent les femmes avec leur sabre. Dupuy vit les entrailles de l’une d’elles se répandre sur le sol ; il se mit à vomir la bile qui lui restait dans le ventre. Puis il attendit la mort. Le père Hyacinthe priait, agenouillé près des blessés. C’est par lui que les hussards débutèrent. Certains républicains vouaient une haine fanatique aux prêtres. Ils s’amusèrent donc à le larder de coups de sabre et à lui couper les oreilles pour faire durer le plaisir. Ils voulaient l’entendre gueuler ; et ils y parvinrent assez facilement. Pendant que le vieil homme souffrait, ils plaisantaient et riaient. Puis ils l’achevèrent avant de s’occuper de Dupuy et de tous les blessés dont ils firent un carnage.
     
    Le petit groupe d’Amélie et d’Antoine était déjà arrivé à Sablé. Le lendemain, il entra dans Laval avec les survivants de l’armée, peut-être quinze à vingt mille personnes sur les soixante ou quatre-vingt mille qui avaient quitté la Vendée.
    Les blessures de Cœur-de-Roi n’étaient pas mortelles, mais il avait perdu beaucoup de sang, et la course permanente ne lui permettait pas de se remettre. Dès qu’elle avait un instant, Amélie continuait de chercher Bénédicte et sa petite fille. Elle interrogeait les rares paysans de sa paroisse qui n’avaient pas encore été massacrés ; mais tout fut vain.
    — Je les retrouverai dit-elle à Jean, en lui caressant le visage, ne t’inquiète pas, petit frère.
    Ils restèrent une seule nuit à Laval. Il fallait courir encore et encore. L’haleine de la mort leur glaçait déjà l’échine. Ils arrivèrent à Ancenis. « La Loire ! La Loire ! » hurlaient les survivants, avec le soulagement des Grecs de l’Anabase.
    Antoine portait toujours Laheu sur son cheval.
    — Laisse-moi ici, implora le paysan.
    — Il n’en est pas question.
    Le Gascon était pourtant découragé. Comment traverser ? Les rives de la Loire étaient inondées sur plus d’une lieue et demie, et il n’y avait pas assez de bateaux pour tout le monde. Le généralissime s’embarqua avec quelques officiers, suivis de plusieurs milliers de Vendéens, et on ne les revit plus. Personne ne songea que Monsieur Henri avait pu abandonner l’armée ; c’était impossible, pas lui, pas La Rochejaquelein. Peut-être était-il prisonnier des Bleus ?... Beaucoup d’hommes, exsangues, avaient décidé d’attendre sur place les hussards pour en finir, pour que l’ennemi abrégeât leurs souffrances. Quelques-uns cherchaient désespérément une barque, mais le gros de la troupe décida de marcher vers Nantes.
    — Qu’allons-nous faire ? demanda Amélie à son mari.
    Antoine hésita ; le choix était terrible. Se tromper de direction, manquer de flair, et c’était la mort certaine.
    — Commençons par trouver une place dans une barque pour Jean. Je ne pourrai pas à la fois le transporter et te défendre ; ensuite nous suivrons l’armée. Les groupes isolés sont massacrés sans pitié ; avec la troupe, nous aurons peut-être une chance.
    Et ils partirent après avoir placé Cœur-de-Roi sur un radeau de fortune que dirigeait un groupe de

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