Dans l'ombre des Lumières
aider, malgré la prime que les autorités versaient pour chaque Vendéen capturé.
— Eh ! Pierrot, dit le plus vieux des paysans, donne donc ton galurin à c’te dame !
Et se tournant vers Antoine :
— Vaut mieux qu’elle descende de cheval, Monsieur, sinon elle pourra jamais passer pour une paysanne.
Amélie obéit et marcha au milieu des croquants. Le plus âgé chassa aussitôt la monture des Loisel, que sa maigreur et ses blessures rendaient bien trop compromettante.
Ils approchèrent d’un hameau composé d’une demi-douzaine de maisons. Mais, alors qu’ils se dirigeaient vers l’une d’elles, ils furent interceptés par un détachement de cavaliers.
— On a une chance… y sont pas du pays, murmura rapidement le vieil homme à l’oreille d’Antoine.
En effet, il s’agissait des volontaires parisiens, membres des hussards de la Mort. Avec ses épaisses moustaches et ses nattes blondes, l’officier ressemblait à un guerrier de l’ancienne Gaule. Il avait le regard impassible d’un tueur froid. Son sabre dégouttait encore du sang des Vendéens.
— Halte ! Vous autres, ordonna-t-il en s’adressant aux rustres. D’où venez-vous comme ça ?
— Ben, on fait la chasse aux brigands, répondit le vieux.
L’officier le fixa de ses yeux reptiliens.
— Et bien sûr, tu n’en as pas trouvé.
— Ben, non, c’te vermine-là n’est point encore venue s’foutre ici !
L’officier fit caracoler son cheval devant le rang de paysans, examinant chaque tenue et chaque visage d’un air soupçonneux. Il s’arrêta devant Amélie, hésita, continua sa revue, revint vers elle.
— Eh ! Toi, femme, tu m’as l’air bien malade ? Tu serais pas une de ces brigandes ?
— Oh non, citoyen ! J’étions pas une brigande, répondit Amélie.
Un jeune paysan s’avança aussitôt d’un pas avec courage ; il avait la cocarde tricolore cousue à son feutre.
— C’est ma femme, capitaine, elle a perdu not’ petiot hier dans la nuit. Et c’te brave femme-là, dès qu’elle a pu remarcher, elle nous a apporté du pain pour la chasse aux aristocrates.
— Ses papiers !
— Je l’es avions chez nous, mais voilà déjà les miens.
Et il tendit ses papiers. Le capitaine les lut, puis resta un moment dubitatif.
— Bon, ça ira, dit-il enfin.
Et ils partirent.
Le groupe avança le plus calmement possible jusqu’à la ferme qui appartenait au vieux paysan. Le brave homme, nommé Joseph Gagnère, y vivait avec sa femme et son fils cadet. Les Loisel étaient sauvés… pour quelques heures encore.
Ils restèrent cachés pendant près d’une semaine. Trois jours après leur arrivée, les gendarmes vinrent fouiller la ferme. Mais, par chance, Gagnère avait ménagé une cachette sous le plancher. Faute de place, les Loisel devaient s’y tenir immobiles et allongés. C’est dans cette position qu’ils entendirent les pas des soldats craquer au-dessus de leur tête.
Le 30 décembre enfin, le vieux paysan s’approcha d’eux la mine défaite.
— Vaut mieux partir…
— Quand ?
— Cette nuit… Un de nos voisins, un bougre de républicain, a des doutes, j’avions pas confiance. Quelqu’un a dû vous voir ; cette fois, ils vont fouiller la ferme, planche par planche et pierre par pierre. C’est un de mes cousins de la garde nationale qui me l’a dit.
— Nous ne savons plus où aller ?
— Mon fils Henri vous fera traverser la Loire avec sa barque. Vous inquiétez donc pas, on a l’habitude, j’étions faux-saunier dans ma jeunesse. Allez adieu et que Dieu vous garde !
Le fils entra alors dans la pièce. Amélie et Antoine embrassèrent leurs hôtes et suivirent leur guide.
La nuit était tombée. Ils n’avaient plus de cheval et allèrent à pied. Ils rejoignirent toutefois rapidement les rives du fleuve.
Soudain, le jeune Henri leur demanda de se baisser dans les fourrés.
— Qu’y a-t-il ? lui murmura Antoine.
— Vous voyez cette masse noire, là-bas, sur la Loire.
— Oui.
— C’est une canonnière que les Bleus utilisent pour empêcher les brigands de traverser le fleuve. Il faut attendre qu’elle s’éloigne. Alors nous pourrons embarquer.
Ils attendirent ainsi une demi-heure avant de s’élancer jusqu’à leur embarcation. Ils s’y installèrent et s’éloignèrent du rivage, mais le courant était trop fort et les faisait dériver vers la canonnière.
— Prenez cette rame, dit Henri à Antoine, et souquez
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