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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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commença à distinguer une main, à entendre les râles lugubres des agonisantes ; à quelques centimètres de son visage, sa cousine la fixait de ses grands yeux vitreux ; la lame d’une baïonnette fendit soudain la masse de chair pantelante ; Loubette aperçut alors le sourire de son fils, celui qu’elle avait enterré près de Laval ; elle allait le rejoindre ; une nouvelle brûlure, le contact rapide d’une lame froide, son cerveau qui se noyait sous un flot de sang, et puis la nuit, définitive.
     
    Un peu partout, les troupes de la République se livraient à des actes de barbarie sans exemple. Ici ou là, les enfants étaient écrasés, les cadavres des femmes dépouillées de leurs vêtements, alignés nus, les jambes relevées de manière obscène. Des soldats allaient jusqu’à introduire des cartouches dans le sexe des mortes ou des vivantes avant d’y mettre le feu.
    Bénédicte venait d’être jetée avec des milliers de Vendéennes dans l’une des églises du Mans que les Bleus avaient transformées en prison. La vie, la mort, tout dépendait d’un rien, de l’humeur changeante d’un bourreau, d’un visage qui ne plaisait pas suffisamment ou qui plaisait trop. L’atmosphère devint étouffante ; les femmes étaient entassées, à demi nues dans l’ancien sanctuaire où régnait un silence funèbre, interrompu par les quintes de toux, les gémissements, les cris, les plaintes des enfants qui expiraient.
    Bénédicte fut emmenée avec une cinquantaine d’autres femmes hors de la prison.
    — Où va-t-on ? demanda-t-elle d’une voix tremblante.
    — Alençon, vous y serez jugées, répondit un soldat entre ses dents.
    Bénédicte marchait avec les autres en rase campagne, escortée par les hommes en armes. Elle avait peur et grelottait de froid ; à cette heure, elle était peut-être veuve, comment le savoir ? Et sa petite fille, pourvu que l’inconnue ne la maltraite pas ! Ils arrivèrent près d’un bois. L’officier ordonna de faire halte. Les soldats rassemblèrent les femmes dans une petite clairière. Les paysannes se rapprochèrent pour se tenir chaud. Les républicains les entourèrent. Bénédicte ne voulait pas, ne pouvait pas comprendre. Ils levèrent leurs armes et commencèrent à tirer. Touchée au ventre, l’épouse de Laheu s’effondra ; elle souffrait trop pour penser à Jean ou à leur petite fille. La déchirure fulgurante d’une lame lui perfora ensuite le poumon. Mais la douleur, inouïe, ne dura qu’un instant. Ses yeux se voilèrent. Tout était fini.
    1 - Près de douze kilomètres.

VII
    Amélie et Antoine continuaient de fuir en direction de Laval avec les vestiges de la Grande Armée. Brise-Fer et Mange-Groles dételèrent les chevaux d’une voiture dont les occupants venaient d’être massacrés. On fit monter Laheu, au bord de l’évanouissement, derrière Antoine, tandis que les deux autres paysans enfourchaient la seconde monture. Amélie restait seule sur la sienne afin de galoper le plus vite possible. Et ils progressèrent en effet assez rapidement. Les mouvements du cheval mené au galop aggravaient les blessures de Jean et lui faisaient endurer un véritable calvaire, mais les fuyards n’avaient pas le choix.
    Au bout d’un moment, le Toulousain reconnut l’équipage de Dupuy. Il demanda à son groupe de faire une halte. Il s’approcha du médecin, mais resta à cheval, pour ne pas déplacer inutilement Cœur-de-Roi. Dupuy se tenait en contrebas, sur sa droite, assis sur le siège d’attelage.
    — Venez avec nous, Mathieu, vous allez vous faire massacrer, les hussards seront ici d’un instant à l’autre.
    Le médecin le regarda en frémissant, comme s’il hésitait. On sentait qu’il avait peur.
    — Je ne peux pas laisser ces gens.
    Et il montra d’un geste ample tous les blessés étendus dans les chariots.
    — Vous savez ce qu’ils font aux blessés et à ceux qui les soignent. Je vous en prie, coupez les traits de vos chevaux, et fuyez tant que vous en avez encore l’occasion.
    — Adieu, mon ami, fit simplement le médecin d’une voix enrouée. Je suis fatigué de courir.
    Antoine se tourna vers le prêtre qui s’était approché.
    — Et vous père Hyacinthe ?
    — Je reste aussi. Je veux être auprès des blessés pour leur administrer les derniers sacrements ; je le leur ai promis. Ils auront besoin de mes prières quand les hussards viendront. Nous avons demandé à ces paysans tous les

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