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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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homme…
    — Eh bien ?
    — Je l’ai vu en prison, dans le château de Cholet, quand nous avons dit adieu à Favier, le médecin nantais. C’est un républicain.
    Antoine cherchait avidement dans ses souvenirs, mais il avait vécu tant de situations et connu tant de personnes depuis neuf mois…
    — Comment était-il ?
    — D’une taille moyenne, un visage assez vulgaire, brun, des yeux vifs, peut-être quarante-cinq ou cinquante ans… Ah ! Oui, il t’avait paru étrange, parce qu’il épiait tes conversations avec Favier ; il savait même que tu avais fait parvenir une lettre du médecin à Nantes…
    — Martineau ! cria soudain Antoine, comme frappé par une révélation ; c’est Martineau, je me souviens de son nom maintenant… Raison de plus pour partir au plus vite. Ce serpent va certainement nous dénoncer.
    Antoine embrassa sa femme et avança comme une bête dans les fourrés. Il sortit du bois, traversa les échaliers pour atteindre le chemin qui menait à La Gaubretière. Mais, dès qu’il s’y aventura, il tomba sur une escouade de républicains qui le fusillèrent à trente pas. Heureusement, ces jeunes recrues ne savaient pas tirer et il put se précipiter à travers une haie. Il entendait les cris de ses poursuivants qui commençaient la chasse à l’homme. Ils l’avaient déjà repéré et tiraient à nouveau dans sa direction. Il sentit une première balle lui frôler le visage ; il courut à en perdre haleine. Ses mains et ses bras étaient écorchés par les ronces. Les Bleus se rapprochaient. Soudain, il fut atteint par un projectile à l’épaule, mais la blessure était superficielle. Il continua de courir. Il aperçut enfin une cavité sous un arbre mort et s’y précipita, ramenant les feuilles pour se dissimuler. Les soldats passèrent près de lui.
    — Où est-ce jean-foutre ? dit une voix.
    — Viens donc, dit une autre, il a dû aller par là.
    — Maudit pays !
    Les voix s’éloignèrent.
    Antoine ne bougeait pas. Au bout d’un quart d’heure, il entendit à nouveau le craquement des branches, le piétinement des feuilles mortes, les cris des soldats qui s’interpellaient. Il attendit encore, puis remua un peu la vieille souche pour voir ce qui se passait. La nuit était tombée. Il n’y avait plus aucun bruit. Il sortit de sa cachette avec mille précautions pour retrouver Amélie.
     
    Il approcha comme un loup de l’abri souterrain, écarta les pierres et chuchota le nom de sa femme. Mais personne ne répondit. Seul le hululement d’une chouette interrompait le silence lugubre.
    — Amélie ! Amélie !
    Ses murmures devenaient plus pressants, sa voix plus inquiète.
    Elle n’était pas dans l’abri. Elle avait dû rester dans le relais, pensa Antoine, cette petite furie n’écoutait décidément rien ! Il se précipita vers la cabane ; il y avait des traces de lutte. La chaise était renversée, les vêtements épars sur le sol. Antoine refusait l’évidence. Sa femme avait certainement eu le temps de se cacher dans les bois. Il en fit prudemment le tour, mais ne trouva personne. Pendant trois jours, il resta tapi sous les ajoncs, sans manger, presque sans boire, totalement éperdu de douleur. Toujours pas d’Amélie. Il eut un horrible pressentiment. Deux fois déjà, par le passé, elle avait eu de la chance, une chance folle ; Virlojeux l’avait fait sortir de La Force, puis l’insurrection l’avait libérée du château de Montaigu. Mais aujourd’hui, il n’y avait plus personne, ni amis, ni armée, rien que des fugitifs, des hommes traqués comme lui, et des cadavres. Il était seul, presque nu, entièrement désarmé. Il se ressaisit. Il n’allait pas attendre que sa femme fût guillotinée.
    Il commença par sortir discrètement du bois, puis alla interroger les paysans dont les villages n’étaient pas encore incendiés. L’un d’eux lui apprit qu’Amélie avait été arrêtée et conduite à Nantes avec des dizaines d’autres prisonniers.
    Nantes ? La républicaine, la ville qui avait repoussé les assauts de la Vendée. Comment s’en approcher ? Et, une fois sur place, que faire ? La situation paraissait désespérée. Antoine réfléchit nerveusement. Il devait se dépêcher ; l’infection des prisons, la fusillade, la guillotine, elles, n’attendraient pas. Il eut soudain une idée, puis tout un plan lui vint à l’esprit.
    Il connaissait un Nantais, un républicain, le médecin Marc Favier ! Si, par

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