Dans l'ombre des Lumières
bouche ; un homme prit appui sur elle pour se hisser ; il l’entraîna sous les flots ; elle se débattit et parvint à remonter jusqu’à la fente pour respirer un peu d’oxygène, quelques secondes encore. Autour d’elle, la plupart des corps ne remuaient plus ; elle entendit une respiration forte, mais ne vit rien ; il faisait noir ; l’eau lui revint dans la bouche, et cette fois, il n’y avait plus d’air ; elle se débattit, en vain ; encore quelques secondes ; une ouverture quelque part ; un miracle… Ses poumons se remplirent.
1 - « Détritus » en parler nantais.
XIII
Dévoré d’angoisses, Antoine n’avait plus la force d’attendre. Le silence étonnant de Favier lui apparut comme un funeste présage. Il voulut retourner secrètement à Nantes, mais la ferme où il se cachait fut fouillée à deux reprises par la garde nationale. Quelqu’un était sur sa piste. Son ami l’avait-il trahi ou était-il lui-même suspect ? Il vivait des moments d’incertitudes abominables quand il reçut enfin une lettre de Julie Favier, portée secrètement par un domestique. Elle lui apprenait l’état dans lequel se trouvait son mari, cloué au lit avec une forte fièvre. Elle n’avait aucune nouvelle de sa femme et ne pouvait rien tenter, sa propre famille étant désormais menacée. Elle conservait toutefois bon espoir pour Amélie, de récentes mesures ayant été prises pour lutter contre la contagion.
Ce courrier à la conclusion pleine de naïveté ne fit qu’accentuer les inquiétudes du jeune homme. Il avait envie de revoir Amélie, de la rassurer, de l’embrasser…
Un mois et demi après son premier vertige, Marc Favier, encore convalescent, alla trouver Antoine dans la maison de campagne, accompagné de sa femme et d’un solide paysan.
— Avez-vous des nouvelles ? demanda fiévreusement le Toulousain. Ces semaines m’ont paru des années. Je n’ai jamais autant souffert de ma vie, même la course avec les Vendéens, aussi terrible fût-elle, me semble aujourd’hui une promenade comparée à ce que j’endure ; c’est qu’alors, j’étais avec elle. Dites-moi que vous avez pu lui parler.
Favier était blême.
— Vous devez être courageux, mon ami.
Antoine leva vers le Nantais un regard incrédule.
— Quoi ?
— Elle n’est plus.
Le jeune homme garda le silence quelques secondes. On voyait que tout son corps vibrait en silence.
— Je… je ne vous crois pas. Vous mentez !
— Je suis désolé, Antoine, l’un des gardiens me l’a confirmé.
À ces mots, le Toulousain poussa un cri déchirant ; ce n’était ni le hurlement d’un homme, ni celui d’une bête, mais le reflet d’une détresse incommensurable.
Il se jeta alors sur le médecin et le bouscula jusqu’à le faire tomber.
— Vous m’avez trahi en me faisant croire que vous pourriez la sauver ! Jamais je ne serais parti sans cela !
Il hurlait comme un dément et en vérité, il était littéralement fou de douleur.
Dès qu’il vit le médecin en mauvaise posture, le paysan qui l’accompagnait se précipita sur le furieux, mais Favier, toujours à terre, lui fit signe de s’arrêter. C’est alors que Julie intervint
— Je comprends votre souffrance, Monsieur, mais elle vous égare. Vous êtes injuste avec mon mari et avec tous ceux qui vous ont aidé. Marc a failli mourir pour vous ; vous ne vous en rendez même pas compte. Voilà près de quarante jours qu’il souffre d’une fièvre formidable et lutte contre la mort ; avec cela, il est devenu suspect ; nous n’avons plus de ration à la boulangerie, et si nous ne possédions cette petite ferme, nos enfants seraient déjà morts de faim. Ah ! J’oubliais, l’oncle de mon mari, l’homme qui vous a caché lors de votre première nuit à Nantes, a été enfermé deux jours plus tard au Bouffay où il dépérit avec les autres prisonniers. Je souhaite ardemment ne jamais connaître l’immense calvaire que vous endurez, mais, je vous en conjure, ne maltraitez pas mon mari. C’est un homme bon, il ne le mérite pas.
Antoine tourna alors vers la jeune femme un regard dévasté, un visage rouge et mouillé de sanglots. Puis, il se pencha vers Favier qui était encore assis sur le sol.
— Pardonnez-moi, mon ami, pardonnez-moi, votre femme a raison, cette nouvelle me rend fou. Je ne peux pas y croire…
Antoine resta prostré. Il n’était ni triste, ni même accablé, mais complètement disloqué.
Il se
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