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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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même les bébés, fut massacrée. Il ne vit pas non plus la marquise de Bonchamps, cachée dans le tronc d’un arbre creux avec son enfant mort de froid dans les bras. Il ne vit pas ces paysannes auxquels les soldats de la République coupaient les seins ni celles que les généraux de la Convention avaient violées puis assassinées. Enfin, il ne vit pas ces Vendéens fidèles à la République que les troupes massacrèrent comme les autres, tant la folie exterminatrice de ce régime était devenue sans limites.
    L’atroce douleur et la barbarie de ses ennemis avaient transformé Antoine en tueur. Lui et sa bande ne faisaient plus de quartier. Et s’il eut un jour encore l’humanité de laisser filer un soldat, c’est que le jeune volontaire n’avait ni butin dans les poches ni sang sur les mains. Pour les autres, en revanche, c’était la mort immédiate. Il avait même pris un certain plaisir à égorger un hussard qui incendiait une ferme.
    Seule la haine, désormais, le tenait en vie, parce qu’il se sentait intérieurement mort. Son existence s’était arrêtée le jour où il avait appris la disparition de sa femme. Il n’avait plus qu’un seul but, une obsession, retrouver Brutus Mercier, ce Jacobin de Paris qui s’était opposé à la libération d’Amélie. Profitant de la moindre accalmie, il irait à Nantes ou dans la capitale et le tuerait après l’avoir torturé. Il n’oubliait pas non plus Martineau, ce répugnant chasseur de primes auquel il réservait le même sort.
    Dès qu’il le put, il se renseigna sur le délateur dont il surveilla jour et nuit la demeure. Il attendit patiemment, caché dans les bois, que le paysan revînt de Nantes où il était en affaires et le surprit enfin seul, dans un petit chemin détourné que le fourbe avait eu l’imprudence d’emprunter.
    Lorsqu’il vit le visage froidement déterminé d’Antoine, Martineau eut le corps glacé de terreur.
    D’un violent coup de poing, le Toulousain l’envoya à terre, puis posa son genou sur la pomme d’Adam du paysan. Il brûlait de la lui briser sous son poids, mais il relâcha un peu la pression pour que le serpent, qui étouffait, pût parler.
    — Je vous en supplie, ne me tuez pas, je vais tout vous dire.
    — Parle, canaille, avant que je t’arrache les yeux !
    — Je parlerai si vous promettez de m’épargner.
    — Tu n’es pas en mesure de poser des conditions, bougre. Si tu parles, je te tuerai sur-le-champ au lieu de te questionner pendant des jours comme j’en avais d’abord l’intention.
    — Je sais des choses, si vous me laissez en vie…
    Pour toute réponse, Antoine lui cloua la main droite avec son couteau tout en lui appuyant la paume sur la bouche. Seuls les yeux exorbités de Martineau semblaient hurler de douleur.
    — Tu veux que je continue ?
    Martineau, qui souffrait atrocement, fit non des yeux et Antoine leva un peu le genou.
    — Je n’ai pas voulu, on m’a obligé, assura le délateur en haletant.
    — Qui t’a obligé, vipère ? Les noms ?
    — Des Jacobins de Paris.
    — Qui sont-ils ?
    — Brutus Mercier, Cincinnatus Merrein et Garceau La Montagne, trois sans-culottes envoyés par la Commune ou le Comité de sûreté générale, je ne sais plus. Ils allaient souvent au comité révolutionnaire ou à la Petite Hollande, chez Carrier.
    — Pourquoi se sont-ils acharnés sur ma femme ?
    — Ils savaient qu’elle était la fille d’un ci-devant ; ils la soupçonnaient d’avoir de l’argent et des bijoux.
    — Il suffisait alors de la voler. Pourquoi lui avoir défendu de quitter l’Entrepôt ?
    Martineau eut l’air réellement interloqué.
    — J’ignorais ce détail.
    — Tu mens coquin, fit Antoine en appuyant sur le cou.
    — Aï ! J’étouffe, je vous en supplie, je dis la vérité.
    — Parle encore ?
    — Je ne sais rien d’autre.
    — Alors tu vas mourir rapidement, comme je te l’ai promis.
    Antoine décloua son couteau de la main de Martineau qui se mit à saigner abondamment ; il s’apprêtait à l’égorger quand le paysan ajouta à toute vitesse :
    — Attendez, j’ai remarqué un détail sur l’un des hommes qui pourra peut-être vous aider à le retrouver.
    Antoine éloigna un peu la lame.
    — Le troisième, qui se fait appeler Garceau La Montagne, celui qu’on voyait le moins et qui semblait gouverner la bande avait une particularité que, par le plus grand des hasards, j’ai eu le temps

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