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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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vis-à-vis de l’horreur, d’en maîtriser la marche. C’était une manière de ne pas sombrer dans la folie, de conserver un semblant de dignité. Peut-être aussi exprimait-il tout simplement sa profonde générosité. Quoi qu’il en fût, Kervéron se montra très prévenant envers la jeune femme, lui apportant l’eau la moins croupie qu’il trouvait, partageant avec elle les rares aliments qu’il avait pu débarrasser de leur pourriture. Sa bonté l’aida à se préparer à la mort. Pendant ces heures cruciales, le chevalier remplaça en quelque sorte le père qu’elle n’avait pas eu.
    Amélie reprit confiance, d’autant plus que la situation dramatique de l’Entrepôt s’améliorait. Les Vendéens avaient reçu l’ordre de sortir les cadavres et de les placer en tas dans la cour où des tombereaux les évacuaient le matin jusqu’au Gigant. On en jetait parfois depuis les fenêtres et le bruit sourd que les corps produisaient en s’écrasant était particulièrement lugubre. Étrange spectacle que celui de ces morts en mouvement traînant d’autres morts, ceux-là inertes, pour en faire des pyramides de chair livide. Les rares personnes valides furent séparées des moribonds. On distribua du pain et de l’eau mélangée à de l’acide sulfurique ; on parfuma les salles de tabac ; on y répandit du vinaigre, liquide que l’on croyait alors souverain contre l’infection. Le régisseur Dumais, lui-même malade, apporta des pochées de charbon avec lesquelles les prisonniers firent bouillir le pain trop dur et grillèrent quelques sardines. On étala aussi un peu de paille fraîche qui fut rapidement souillée. On enterra enfin les hardes des victimes que les militaires eurent dorénavant l’interdiction d’acheter.
     
    Et puis, par une nuit froide de janvier 1794, alors qu’Antoine se morfondait à la campagne, attendant des nouvelles de sa femme, et que Marc Favier luttait contre le typhus à Nantes, les Marat investirent l’Entrepôt des cafés.

XII
    Il y avait là tout l’état-major du crime en grande tenue d’apparat. Guillaume Lamberty, l’homme de main de Carrier, le maître d’œuvre des massacres à grande échelle ; Théodore Lavaux, un Jacobin fanatique ; ancien prisonnier de Saint-Florent, gracié par Bonchamps, il s’était tatoué sur le bras à la pointe du couteau : Je mourrai pour la République. Vive la liberté  ; Pierre Chaux, un failli, qui avait acquis mystérieusement des biens nationaux et s’attribuait le surnom burlesque de Socrate ; Jean-Jacques Goullin, un créole, fils d’un négociant installé à Nantes ; soucieux de son confort, il s’était emparé d’un beau logement dont il avait expédié la propriétaire en prison ; Pierre Robin, jeune président de club, prétendait avoir usé la lame de son sabre à force de trancher la tête des brigands…
    Deux véritables monstres de sadisme figuraient encore au sein de l’odieuse bande, l’ancien maître d’armes et ci-devant noble, Moreau de Grandmaison, et le colosse O’Sullivan, autre tueur sans conscience, qui venait d’expédier son propre frère à la guillotine.
    Tous ces hommes avaient déjà dépouillé, sabré, fusillé ou noyé des milliers de personnes, notamment des femmes et des enfants.
    Leur arrivée jeta l’effroi parmi les prisonniers que la lumière inhabituelle et le bruit venaient de réveiller.
    — Allons, dit l’un d’eux, dépêchez-vous ! On va vous transférer, ne prenez qu’un sac avec vos objets de valeur ; on vous enverra vos hardes plus tard.
    — Où va-t-on ? risqua un prisonnier.
    — Tu ne vois pas, bougre, que la peste règne dans la prison ? On vous mène dans une île, le temps de nettoyer tout ce mânis 1 .
    À ces mots, un autre Marat se mit à sourire.
    Le chevalier de Kervéron entendit alors ce dernier murmurer à son comparse.
    — Eh ! Bête que tu es, pourquoi ne leur dis-tu pas la vérité ?
    — Foutre ! Ils la sauront bien assez tôt. Faut qu’ils se tiennent tranquilles aussi longtemps que possible.
    Des Marat, déjà complètement ivres, réclamèrent du vin au gardien. L’un d’eux s’approcha d’Amélie et la bouscula. Il ne faisait même plus un mystère du but de l’expédition.
    — Dépêche-toi, garce, c’est l’heure de prendre un bain dans la baignoire nationale.
    La jeune femme se blottit contre le chevalier de Kervéron.
    — Ne me quittez pas, Monsieur, supplia-t-elle, je croyais que je serais

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