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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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redressa soudain ; son visage exprimait une détermination inquiétante.
    — Je vais me rendre à Nantes. Je veux en finir.
    Malgré sa faiblesse, Favier tenta de l’arrêter.
    — Antoine, je dois vous parler… J’ai vu Amélie avant sa mort.
    Cette annonce eut sur Antoine l’effet d’un coup de poignard. Associer le nom d’Amélie à celui de la mort était absolument impossible.
    — Quand ?
    — Dès le lendemain de votre arrivée à Nantes.
    — Et vous ne m’avez rien dit, fit le jeune homme tout tremblant de désespoir.
    — Je l’ai trouvée dans le pire lieu qui se puisse imaginer, à l’Entrepôt des cafés où des milliers de prisonniers étaient enfermés.
    — Elle n’y est peut-être pas morte, il faut consulter le livre d’écrous, balbutia Antoine.
    — Il n’y en a pas, il n’y en a jamais eu, ce qui permet aux Marat de faire disparaître leurs victimes sans jugement. Votre femme fait exception ; elle a été condamnée à mort par la commission Bignon quand elle était encore au Bon Pasteur. J’ai vu les représentants de toutes les autorités constituées pour obtenir un sursis de trois mois, comme le permet la loi en cas de grossesse, mais Carrier et sa bande m’ont trompé avec cruauté. Et puis, j’ai eu cette fièvre. C’est ensuite que j’ai appris…
    — Quoi donc ? Je dois savoir.
    — Je ne le crois pas, répondit Favier.
    — Parlez, je vous en supplie !
    — Elle a été… noyée.
    Le visage d’Antoine fut subitement défiguré par un mélange de souffrance et d’incrédulité.
    — Comment ?
    — Oui, mon ami, c’est l’horrible vérité. Ils dépouillent les prisonniers puis les jettent dans une gabare qu’ils font couler.
    Antoine s’exclama d’une voix cassée.
    — Vous voulez dire qu’Amélie, mon Amélie, se trouve dans un bateau au fond de la Loire ?
    Les larmes l’empêchèrent de poursuivre.
    — Carrier m’avait accordé un laissez-passer, précisa le médecin ; je devais seulement prendre la responsabilité d’un transfert ; mais il a changé d’avis et, quand j’ai voulu emmener Amélie, les Marat m’en ont empêché. Un homme semblait au cœur de cette cabale.
    — Son nom ? rugit Antoine.
    — Il se fait appeler Brutus Mercier, un Jacobin de Paris, grand, assez fort, très blond, un sourire hypocrite accroché aux lèvres.
    — Je ne connais pas de républicain qui ait ce nom ni cette apparence. Mais je le retrouverai, soyez-en sûr, et je vengerai ma femme.
    Favier s’empressa d’ajouter.
    — Antoine, il y a autre chose… La dernière fois que je l’ai vue, Amélie m’a demandé de vous transmettre ses dernières volontés.
    Le jeune veuf s’immobilisa tout en serrant les poings. Le médecin reprit.
    — Elle m’a chargé de vous dire qu’elle vous a aimé comme l’on n’a jamais aimé… Elle voulait que vous viviez, c’était son vœu le plus cher, et que le jour où la douleur serait moins forte, vous puissiez refaire votre vie.
    Loin de le consoler, l’ultime élégance de sa femme lui porta le coup de grâce. Il resta un long moment inerte avant de relever la tête.
    — Merci pour votre aide, dit-il… Et maintenant, s’il vous plaît, laissez-moi seul.
     
    Il passa sa première nuit de deuil à pleurer, à murmurer des mots d’amour à sa femme, à la consoler secrètement, caressant sa folie comme une nouvelle compagne. Ce fut le début d’un long martyre pendant lequel chaque souffle, chaque souvenir, chaque pensée, deviendraient insupportables. Il saurait bientôt ce que signifie réellement la souffrance, celle qui dure toujours et ne vous laisse pas un seul instant de répit.
    Le lendemain soir, le visage livide et les yeux vitreux, il salua ses hôtes puis se dirigea vers Morlanges.
     
    Il traversait le pays au moment le plus terrible. La Vendée n’était plus qu’une terre de désolation où régnaient le carnage, l’incendie et la terreur. Pendant plusieurs semaines, Antoine vécut comme un sauvage, un homme des bois, caché sous les ajoncs, se nourrissant de racines ou de l’aumône des paysans ; puis il alla rejoindre les quelques bandes de Vendéens qui tentaient encore de résister. Ce qu’il découvrit alors fut pire que toutes les horreurs auxquelles il avait assisté pendant la Virée de Galerne : des femmes enceintes éventrées, des enfants aux crânes fracassés, des corps carbonisés. Pourtant il ne vit pas le village des Lucs dont toute la population,

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