Dans l'ombre des Lumières
parti royaliste en France. Jusqu’alors, la situation politique ne lui avait pas permis de fouler de nouveau le sol national. Mais voici qu’il entend parler d’un émissaire que le parti ultra veut envoyer dans les environs de Toulon, un homme qui profitera surtout des réseaux royalistes établis sur place. C’est l’occasion rêvée pour récupérer son butin. Il court des risques, certes, mais il n’est plus le fugitif aux abois de l’an III. Cette fois, il a de solides appuis et un plan qu’il a longuement mûri.
Antoine n’en revenait pas.
— C’est remarquable !
— Rappelez-vous, Monsieur, que c’est une simple conjecture.
— Elle a plus que des apparences.
— Nous verrons bien… Et puis… Je ne voudrais pas vous donner de faux espoirs. J’ai cru comprendre que cet homme avait causé votre malheur, je l’ignorais en venant ici.
C’était la première fois que ce policier au comportement si austère témoignait un peu de sensibilité. Antoine en fut touché.
— Mais, dites-moi, demanda soudain le peintre, comment avez-vous établi un lien entre Virlojeux et moi ? Est-ce la lettre que j’avais envoyée à la préfecture pour le dénoncer en l’an IV ?
Daubier ouvrit de grands yeux incrédules.
— Vous aviez écrit à nos services ?
— Oui, un courrier dans lequel je révélais tout ce que je savais sur cet homme, malgré les risques que j’encourais moi-même en raison de ma participation à la guerre de Vendée…
— Quelqu’un aura détruit ou subtilisé votre courrier.
Le policier parut subitement très embarrassé.
— Ne me dites pas que Virlojeux a encore des appuis à la Sûreté, dix ans après son départ !
— Moi, je ne dis rien, Monsieur…
— Il y a pourtant un homme qui s’est beaucoup enrichi pendant la Révolution, un homme dont vous ne m’avez pas parlé.
— Lequel ?
— Votre ancien ministre, le sénateur Joseph Fouché.
— Vous insinuez…
— Je suis comme vous, je n’insinue rien.
— Vous vous méprenez. Il ne s’est pas enrichi sous la Terreur…
Daubier conserva le silence et Antoine n’insista pas. Le commissaire changea alors habilement de sujet.
— Pour répondre à votre première question, c’est l’ancien imprimeur du Fanal de la Liberté qui m’a parlé de vous. Vous aviez l’habitude de signer vos dessins et il se souvenait très bien de votre nom. Puis, vous l’aviez revu après la fuite de l’imposteur. J’ai fait ensuite quelques recherches sur votre compte… Mais du côté du journal, rien. Le nom de Virlojeux n’y apparaissait même pas et la feuille était enregistrée sous un prête-nom.
— Maintenant je me souviens qu’il signait toujours ses articles par des mentions vagues comme « L’ami de l’Humanité », ou « L’idolâtre du Peuple et de la Liberté ». Je pensais que c’était seulement pour sacrifier au style boursouflé du temps… Bien, mais vous ne m’avez pas parlé de l’essentiel, quand le voyage secret de ce scélérat est-il prévu ?
— Je vais vous le dire, mais auparavant, je voudrais que vous me disiez à votre tour ce que vous savez sur Virlojeux.
Antoine conta alors toute l’histoire depuis la première rencontre dans la diligence de Toulouse, en mai 1789, jusqu’au drame de Nantes, cinq ans plus tard.
— N’oubliez surtout pas, insista-t-il, que c’est grâce à sa profonde cicatrice au bras droit que j’ai su qu’il était l’auteur indirect de la mort de ma femme.
— Je ne l’oublierai pas, ne craignez rien. J’ignorais ce détail. Il est en effet capital… Quant au voyage du prétendu vicomte de Mercœur, il est prévu pour le milieu du mois prochain.
— Dans moins de trois semaines ! s’exclama Antoine tout palpitant. Je vous accompagnerai.
— Non, Monsieur, c’est impossible, et vous nous gêneriez.
— Mais…
— Comprenez-moi bien, si Mercœur, enfin Virlojeux ou quel que soit son vrai nom, si cet homme vous aperçoit, il comprendra qu’il s’agit d’un piège.
— Vous avez raison, c’est l’évidence, concéda Antoine avec une expression d’amertume.
— Ne vous inquiétez donc pas, j’ai l’habitude… Et puis, il y a autre chose…
— Quoi donc ?
— Notre espion ne nous a plus donné de nouvelles depuis plusieurs semaines, comme s’il avait disparu. Si jamais Mercœur a découvert son plan, je crains le pire… Peut-être ne viendra-t-il pas et sans doute ne reverrons-nous
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