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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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parvinrent du département de Seine-Maritime. L’accusé s’appelait bien Michel Voisard, né à Fécamp d’un maître de poste et de la fille d’un artisan. Son père n’avait pas voulu le reconnaître, et le petit bâtard avait vécu totalement isolé avec sa mère jusqu’à l’âge de dix-sept ans. Si le foyer était modeste, Voisard n’avait jamais manqué de rien. Même cela, songea Antoine – la misère, les prétendus métiers de forçat dont il s’était enorgueilli au 10 août – tout était faux.
    Malheureusement, le procès prit une très mauvaise tournure pour l’accusation. Concernant les deux assassinats dont Voisard était soupçonné, il n’existait aucune preuve solide. Dix-neuf ans étaient passés depuis la disparition de l’apothicaire Louis de Virlojeux, dont Voisard avait pris l’identité. Les témoins avaient disparu ou ne se souvenaient plus de certains détails capitaux. Quant à son complice, Jules Pincedieu, rien ne prouvait non plus qu’il l’eût assassiné. Il n’y avait là encore que des présomptions. La mort d’Amélie Loisel fut à peine abordée pendant le procès, car Voisard n’était pas directement intervenu à l’Entrepôt. Pour Antoine, ce fut le pire. Il subissait la souffrance, sans obtenir la reconnaissance du crime. Pendant qu’il témoignait, ivre de douleur, il se tourna vers l’accusé, et lui demanda d’une voix enrouée de sanglots comment lui, qui avait assisté à leur mariage, avait pu faire tuer sa jeune femme de vingt-trois ans. Des gens pleurèrent dans la salle. Mais Voisard ne répondit rien. Antoine s’adressa alors au public.
    — Mesdames et Messieurs, ce à quoi cet homme m’a condamné est mille fois pire que la mort…
    Il aurait voulu continuer, mais il en fut incapable, et il se tut.
    L’inculpation de haute trahison pesa lourd dans le dossier, même si le commissaire du gouvernement avait voulu éviter la publicité concernant les détails de cette affaire.
    Les six juges condamnèrent finalement Michel Voisard au bagne à perpétuité pour atteinte à la sûreté extérieure de l’État. Il échappait curieusement à la peine de mort. À l’énoncé du verdict, l’accusé n’eut pas un clignement de cils, tandis qu’Antoine demeura effondré sur son siège. Ce qu’il redoutait tant se produisait ; tout était fini, il allait désormais rester seul avec ses interrogations et sa souffrance.
    1 - C’est ainsi que les insurgés désignaient eux-mêmes la première guerre de Vendée.

V
    Sept années passèrent. Antoine avait quitté son hôtel parisien pour s’installer dans un petit appartement du Marais, un quartier depuis longtemps déserté par la mode. Il reprenait le goût de la peinture qu’il avait perdu après la disparition d’Amélie. Il n’avait jamais cessé de travailler, mais des années avaient été nécessaires pour retrouver le relief, la lumière et le mouvement. Avant cette renaissance, il n’étudiait même plus les formes et les couleurs, il se contentait de la technique acquise pour satisfaire quelques commandes inintéressantes, paysages tièdes, portraits de notables, d’actrices en vogue ou d’arrivistes riches à millions. Et puis, tout était revenu.
    Il occupait le reste de son temps avec sa femme et ses enfants. Julien avait maintenant quatorze ans et sa sœur Marie, presque douze. Leur père passait des heures avec eux, allant même jusqu’à délaisser son travail. Il ne voulait ni nourrice ni gouvernante, prenant lui-même en charge leur éducation avec Apolline. Il appartenait à une génération qui avait lu L’Émile .
    Si Antoine ne souffrait plus, comme par le passé, il ne pouvait toutefois offrir à sa femme le bonheur qu’il lui avait promis. La situation, entre eux, s’était nettement améliorée, mais il ne ressentait toujours pas ce feu intérieur qu’il avait eu pour Amélie. Il n’était pas hypocrite ; il avait cru lui-même à une renaissance amoureuse, même si au fond, il savait qu’on n’aime à ce point qu’une seule fois. Cette femme morte depuis dix-huit ans, Amélie de Morlanges, il l’aimait encore, comme au premier jour.
    L’Empire jetait alors ses derniers feux et marchait douloureusement vers la défaite, entraînant de nouveau le peuple français dans son sillage. Le 24 juin 1812, Napoléon débutait la campagne de Russie avec près d’un demi-million d’hommes dont un dixième seulement allaient rentrer. La veille, Wellington

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