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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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battait Marmont près de Salamanque. Combien d’invalides Antoine n’avait-il pas déjà observés, tel ce cul-de-jatte qui, pour une petite pièce, bombait le torse au coin de la rue Saint-Denis ! C’était le revers de la gloire, celle-là ne peuplerait jamais le Panthéon ou les Tuileries, mais seulement les trottoirs. Dans les campagnes, de jeunes paysans se mutilaient pour ne pas alimenter la boucherie. À elle seule, la bataille de Borodino ferait en septembre quatre-vingt-douze mille morts, russes, français et alliés. À quarante-trois ans, Antoine avait déjà vu assez de carnages. Aucune gloire, même nationale, ne méritait d’être si chèrement payée.
     
    Le 16 juillet, il fut convoqué par le commissaire Daubier à la préfecture de police, rue de Jérusalem. Il ne l’avait pas revu depuis sept ans, depuis le procès de Voisard. Il était persuadé que le commissaire avait trouvé de nouvelles informations sur l’assassin et qu’il souhaitait les lui communiquer. Mais dès qu’il entra dans le bureau, il vit tout de suite que l’expression de Daubier était anormale.
    — Qu’y a-t-il, vous paraissez tourmenté ?
    — Asseyez-vous, je vous prie, Monsieur Loisel. Comment allez-vous ?
    — Très bien, merci, mais dites-moi…
    — Voisard s’est échappé du bagne de Toulon.
    Antoine se redressa d’un coup.
    — C’est impossible, vous m’aviez assuré qu’il serait soumis à une surveillance très stricte.
    — Je sais, Monsieur, mais vous connaissez le personnage ; il peut aussi bien tromper au bagne qu’à l’extérieur.
    — Enfin, comment est-ce arrivé ?
    — Je vais rapidement vous l’apprendre. Pendant les sept années qu’il a passées à Toulon, Michel Voisard s’est signalé par sa bonne conduite. Il a plu à tout le monde, des argousins à la chiourme, en passant par le directeur lui-même…
    — Je suppose cependant qu’on ne l’a pas aidé à s’enfuir.
    — En quelque sorte, si, Monsieur. Je veux dire qu’il a acquis patiemment la confiance de tous les responsables du bagne. Il a commencé par obtenir une réduction de chaîne, puis on lui a accordé une couverture et un matelas, enfin, il a eu la permission de travailler à la Petite Fatigue, non pas à l’hôpital ou en cuisine, mais dans les bureaux mêmes de l’administration, ce qui est une entorse grave au règlement pour les condamnés à vie.
    — Autant faire entrer le loup dans la bergerie…
    — C’est exact. Je les avais pourtant prévenus au sujet du caractère de notre homme. Même en le voyant quitter Bicêtre attaché à la chaîne, je n’étais pas tranquille. Voisard a donc été employé dans les bureaux. Là – et j’ignore comment – il a réussi à se procurer le cachet du commissaire. Il savait déjà imiter son écriture et sa signature à la perfection. Il faut dire que cet homme, en plus de ses autres talents criminels, possède celui de copiste à la perfection. Quant au cachet, j’imagine qu’il l’a sculpté de mémoire ; les gendarmes qui ont examiné ses faux papiers, m’ont assuré n’avoir jamais rien vu de tel.
    — Et le crâne rasé, ce que les bagnards appellent la boule  ? On prétend que c’est le moyen presque infaillible de les retrouver. S’est-il donc enfoncé la tête jusqu’aux oreilles dans un feutre ? A-t-il volé une perruque ? ironisa Antoine sous le coup de la colère.
    — Non, il est bien plus subtil que cela. Pendant des mois, Voisard s’est écorché intentionnellement le cuir chevelu, parvenant à faire croire ainsi qu’il était atteint d’une affection chronique ; songez qu’il a même trompé le médecin du bagne. On lui appliqua donc toute sorte de lotions, on le mit en quarantaine par crainte d’une contagion, rien n’y fit, et pour cause… Finalement, et puisque cela semblait le seul moyen de soigner cette espèce de pelade sanglante, on lui permit de laisser pousser légèrement ses cheveux, du moins le temps d’obtenir une guérison.
    — Et ce temps, il l’a mis à profit.
    — En effet. On aurait refusé une telle infraction au règlement pour n’importe quel autre forçat, mais Voisard sut l’obtenir du directeur. Pour le reste, on ne sait pas encore de quelle manière il a procédé. Il n’a pas pu voler un habit de matelot dans le port ; les argousins prennent garde à ce genre de stratagème depuis que M. Vidocq, qui dirige aujourd’hui une de nos brigades, l’a employé quand il était

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