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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières
Autoren: Laurent Dingli
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pas, je vous en prie, je n’ai plus le cœur aux disputes. Cette Révolution, si vous saviez comme votre sœur et moi l’avons profondément aimée ! Ce n’est pas trahir Amélie que de s’en souvenir. À vingt ans, nous voulions que les hommes devinssent libres et égaux, quels que fussent leur religion, leur état ou leur couleur. Nous croyions avec Condorcet que l’éducation permettrait d’émanciper les êtres humains et qu’il ne serait pas insensé d’accorder un jour des droits aux femmes. Nous considérions avec Grégoire, La Rochefoucauld et Brissot, que les Noirs, les juifs, les protestants, étaient nos semblables ; nous pensions même avec Robespierre, dont nous ne mesurions pas alors toute la noirceur, que les pauvres avaient leur place dans le corps électoral.
    — Vos belles idées nous ont coûté cher.
    — Sans doute. Et, en vérité…
    L’émotion l’obligea à s’interrompre.
    — … En vérité, j’aurais sacrifié toutes les révolutions du monde pour pouvoir passer une heure de plus avec elle… Si vous saviez comme elle me manque…
    L’expression d’Antoine était tellement brisée que Morlanges n’insista pas.
    — Parlons plutôt de peinture, mon cher, voulez-vous ?
    Ils continuèrent à marcher, mais alors qu’il regardait distraitement les fiacres qui remontaient la place Royale, Antoine s’immobilisa soudain, puis commença à froncer les sourcils. À quelque distance de là, un vieil homme borgne et manchot descendait d’un carrosse avec l’aide d’un domestique.
    — Eh bien, qu’y a-t-il, Antoine ?
    — Cet homme, là-bas, qui sort de voiture et à qui une jeune fille tend le bras, j’ai l’impression de le connaître…
    — Lui, mais c’est M. le comte de Saint-Amant.
    — Qui est-ce ?
    — Un émigré, proche du roi d’Espagne.
    — D’Espagne, dites-vous… Que savez-vous d’autre ?
    — Son histoire est absolument effroyable. Imaginez que le pauvre homme, dont le fils unique avait été fusillé à Auray, a vu sa femme massacrée sous ses yeux par des pillards, dans la maison où ils habitaient près de Madrid. Des déserteurs de l’armée impériale, me semble-t-il. Ces barbares l’ont torturé afin de savoir où il cachait son argent.
    — Étrange histoire, en effet. Pourquoi ne l’ont-ils pas tué lui aussi ?
    — Ma foi, ils l’ont laissé pour mort après l’avoir violemment assommé. C’est ainsi qu’il a perdu son œil gauche. Révolution ou pas, souhaitons que ces temps de barbarie soient définitivement terminés.
    — Et la jeune femme ?
    — C’est sa nièce ; il l’a retrouvée à son retour en France. En fait, il ne l’avait jamais vue, car elle est née après son émigration.
    — Ah, vraiment ?
    — Pourquoi vous intéressez-vous autant à cet homme ?
    — Il ressemble à Voisard dont je vous ai longuement parlé.
    Le marquis ne put s’empêcher de rire.
    — Un ancien bagnard serait devenu le confident des rois de France et d’Espagne ! Vous plaisantez mon ami.
    — Je vous assure que je n’en ai aucune envie.
    — Mais enfin, Antoine, soyons sérieux, la douleur vous égare, comment voulez-vous…
    — J’aimerais l’approcher pour m’assurer de son identité. Pourriez-vous faire en sorte que je sois invité chez lui à quelque réception ou pour toute autre occasion ?... Allons, ne vous inquiétez pas, je vous promets de ne pas faire de scandale. Je me contenterai de l’étudier, je vous en donne ma parole d’honneur.
    Embarrassé, Morlanges considéra Antoine comme s’il doutait de sa raison.
    — Cet homme ne reçoit presque jamais, fit le marquis. Il vit isolé dans son hôtel avec sa nièce. Mais je tenterai de m’arranger.
     
    Une semaine plus tard, Morlanges vint annoncer à Antoine qu’il avait sollicité une entrevue auprès du comte de Saint-Amant et que celui-ci l’avait cordialement invité à souper avec son beau-frère. Antoine fut un peu désarçonné par la facilité avec laquelle le criminel – s’il s’agissait bien de lui – acceptait de le recevoir. Peut-être n’était-ce après tout qu’une méprise.
    Lorsque le surlendemain, il fut introduit dans l’hôtel avec Morlanges et qu’il se trouva en face de Saint-Amant, il n’eut presque aucun doute sur son identité. Bien sûr, les cheveux avaient blanchi ; l’homme était vieilli, voûté, manchot et borgne, et pourtant c’était bien le visage de Voisard. Antoine tremblait de colère. Souper
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