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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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unique à deux battants. Quelqu’un essaya soudain de la fermer pour plonger la pièce dans l’obscurité la plus totale. Antoine résista de toutes ses forces. Il s’appuyait contre les battants. La lutte dura un instant, puis il céda et la porte se referma.

IX
    Il réfléchissait assis dans son fiacre aux côtés d’Isabelle. Il allait faire ses aumônes aux pauvres qui engorgeaient les rues de Paris. Il se moquait bien de tous ces gueux, mais il devait tenir son rang. En passant par le Palais-Royal, il regarda distraitement la foule composée de bourgeois, de gentilshommes et de dames élégantes ; on apercevait aussi quelques officiers russes, anglais et autrichiens. Un peu plus loin, des grappes d’enfants peuplaient le carrefour, haranguant les passants pour obtenir une petite pièce.
    — Eh ! Mon capitaine ! dit l’un d’eux au passage du fiacre, n’auriez pas quelques sous ?
    Depuis les guerres de la Révolution et de l’Empire, les enfants des rues avaient pris l’habitude d’interpeller ainsi le bourgeois. Comme au temps du petit tambour, ils avaient une manière à la fois plaisante et impertinente de réclamer l’aumône.
    Voisard ferma la lucarne à l’aide de son bras valide, pour ne pas être importuné, mais il continua de regarder nonchalamment le spectacle de la ville. Il observa un homme dont l’habit ressemblait à celui qu’avait porté Antoine le jour de sa mort. La forme et la couleur de la redingote lui remirent soudain en mémoire l’étrange journée. Il se revit assis, inerte, devant le cadavre d’Antoine, ce dernier recroquevillé sur le parquet du bureau, comme tordu de douleur. Même mort, le peintre avait l’air plus vivant que lui. Voisard avait éprouvé, ce jour-là, une impression de vide, une sorte d’ennui profond. Il avait souvent ressenti cela par le passé, mais jamais avec une telle force. Il ne se l’expliquait pas. C’était ainsi, voilà tout. En regardant le cadavre, il n’avait eu ni remords ni pitié, seulement la sensation vague d’être happé par le néant. Il n’avait même pas eu de plaisir en détaillant la dépouille de son ennemi. Toute cette agitation pour en arriver là, pour nager dans cet océan de vide, sans perspective, sans désir, sans rien ! La haine lui revenait parfois de manière fugace ; il tentait de la retenir comme l’eau ou le sable entre ses doigts ; seule la haine le maintenait en vie. Il se rappela volontairement celle qui l’avait submergé lorsqu’il avait découvert le bonheur d’Amélie et d’Antoine. La haine l’avait alors rempli de son sang chaud. Ah ! comme il regrettait l’effet de cette sève ! Il avait pu tout leur voler, jusqu’à la vie ; mais il y avait quelque chose qui le narguait constamment, même après la mort, c’était ce sentiment violent et ridicule qu’ils avaient éprouvé l’un pour l’autre. Quand il pensait à cet état de complétude mystérieux, lorsqu’il revoyait cet univers étrange qui lui serait à jamais inaccessible, il avait envie de réanimer les deux cadavres pour les torturer et les broyer une nouvelle fois entre ces mains froides. Mais ce n’était pas possible ; ces jeux-là ne duraient qu’un temps. Dommage… C’était son pouvoir à lui, le seul. Mais ce jour-là, devant cette bouche encore baveuse d’écume, il n’avait rien ressenti, pas même de la haine.
    Lui aussi était mort depuis longtemps, depuis toujours. Il n’avait pas, comme Antoine, péri vingt ans plus tôt de désespoir, mais de n’avoir jamais pu en éprouver. Il ne se sentait pas coupable. Il ne savait pas ce que cela voulait dire. La noyade d’Amélie, le regard exorbité du cadavre de Mme de Saint-Amant l’avaient laissé de marbre. La vie, la mort, au fond, tout cela n’avait aucune importance ; c’était exactement la même chose. La vie n’était rien d’autre que la mort déguisée ; elle se travestissait en revêtant le masque de l’existence. Quand il égorgeait, il ne faisait que dévoiler cette vaste supercherie. Une fois qu’il les avait tous possédés, qu’il avait habité leur corps et les avait un moment animés à sa guise comme des marionnettes, il les désertait telles des coquilles vides. Bien sûr, il avait aimé jouer avec eux, comme le chat avec la souris. Les voir se débattre inutilement lui donnait même un moment l’illusion d’exister. Cette jouissance était pourtant éphémère. Et il fallait toujours recommencer.
    Il est vrai

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