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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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pas s’abaisser, se disait-il. Desprez le mettait à l’épreuve. Comment ne l’avait-il pas compris ? Le maître ne tolérait dans son sillage que les caractères les mieux trempés. Si on s’effondrait au premier sarcasme, il ne fallait plus espérer le rejoindre. De toute évidence, il aimait chatouiller la jeunesse et lui remuer le pieu dans les entrailles. Ensuite, seulement, il prodiguait des caresses aux plus compétents. Antoine lui apporterait ses dessins et, alors, Mordious ! Ce faquin de Desprez verrait bien de quoi un Gascon est capable.
     
    Il déambula encore un moment dans Paris. Il se trouvait devant le Grand Châtelet. La foule s’était à nouveau épaissie. Mais soudain, tout se figea et fut comme saisi de stupeur. Les voitures s’immobilisèrent, les passants suspendirent leur marche, le silence devint presque total. Antoine ne comprit pas tout de suite la cause de ce bouleversement. Mais, lorsqu’il vit des badauds mettre chapeau bas, et des prêtres, la main à l’encensoir, précéder un cortège funèbre, il réalisa enfin le sens de la scène. La cérémonie lui était familière, mais jamais un tel silence n’avait succédé à tant de bruit, ni une telle prostration à de si nombreux mouvements. Il fit machinalement le signe de croix et demeura songeur. Le passage d’une procession funéraire, qui interrompait brutalement l’animation de la ville, lui fit penser à un signe du destin.
    1 - Petit-maître : on appelle ainsi un jeune homme de Cour, qui se distingue par un air avantageux, par un ton décisif, par des manières libres et étourdies. Dictionnaire de l’Académie française , 1762.
    2 - Toulouse n’est qu’en marge de la Gascogne, mais les Loisel, dont les ancêtres étaient originaires de Saint-Gaudens, en portaient encore fièrement le nom.
    3 - « La Justice, la Foi, la Force, la Bonté/Et tout ce que le Ciel accorde rarement. »
    4 - Juron gascon.

V
    Avant de réintégrer son garni, Antoine rendit une visite de courtoisie aux d’Anville. Éléonore lui ouvrit la porte et le fixa de ses grands yeux noirs. Elle ne disait rien, mais son regard doux, envoûtant, réclamait quelques nouvelles fraîches.
    — M. d’Anville est absent, annonça-t-elle, comme si elle répondait à une question qu’Antoine n’avait pas eu le courage de poser.
    — Je ne voudrais pas vous déranger, bredouilla-t-il.
    — Étienne vous l’a déjà dit, vous êtes ici chez vous ; sachez-le.
    Éléonore portait un déshabillé de soie qui mettait en valeur son corps gracile. Elle était encore très belle pour une femme de son âge. Elle ne s’était jamais fardée et les poudres mêlées de plomb ne lui avaient pas rongé le visage. La peau restait lisse, nacrée avec, ici ou là, quelques ridules. Elle prit la main d’Antoine, comme elle l’avait fait la veille, naturellement, pour le conduire jusqu’au canapé du petit salon.
    — Contez-moi donc votre première journée à Paris, je me languis d’en connaître le détail…
    Le jeune homme l’observa un instant avec perplexité. Cette femme le menait exactement où elle le désirait. La douceur qu’elle mettait dans ses mots, l’aménité de ses gestes désarmaient toute velléité de résistance. Antoine, qui avait peur de la décevoir, ne voulut pas lui révéler sa déconvenue.
    — À vrai dire, il ne s’est rien passé de très intéressant…
    — Dites-moi toujours, vous savez le parti que nous prenons, mon mari et moi, à votre bonheur. Votre père ne vous a-t-il pas confié à nos soins ?
    Il demeurait méfiant. Éléonore se présentait comme un ange protecteur et sa franchise interdisait en apparence toute forme de suspicion. Mais derrière ce paravent se dissimulait peut-être des pensées inavouables. Les femmes ne sont-elles pas des masques, des créatures rompues à tous les artifices ? Il se reprit aussitôt, effrayé par ses divagations, se reprochant sa méfiance et sa fatuité. Pourquoi une personne si séduisante convoiterait-elle un oison encore tout crotté de sa province ? Il fallait qu’il eût une bien haute opinion de lui-même pour croire que les Parisiennes se pâmeraient à son approche. Il avait mal interprété les taquineries de Desprez et voilà qu’il se méprenait sur les intentions de son hôtesse. Il croyait déceler de la perversité là où il n’y avait, sans doute, qu’une expression de générosité. Mme d’Anville était accueillante, rien de plus. Cette

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