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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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bonnetiers… Bien qu’il fût parisien de fraîche date, on lui fit signer un registre tout en lui demandant, droit dans les yeux, s’il était bon patriote. On lui confia alors une épée, puis une cocarde rouge et bleu, qu’il agrafa fièrement à son chapeau.
    Le commandant, un gentilhomme, était officier dans le régiment d’Artois. Il avait sous ses ordres une troupe hétéroclite, équipée de bric et de broc. Les volontaires portaient des vestes d’uniforme, des habits de garde-barrière, de cavalier du guet ou d’huissier à verges. De leurs perquisitions, ils avaient rapporté quelques vieux fusils de chasse et d’antiques rapières. Ce soir-là, l’armée parisienne avait des allures de carnaval.
    Près d’Antoine, un compagnon tailleur de vingt ans tremblotait comme une feuille en tenant sa flamberge.
    — Si nous ne sommes pas égorgés par les troupes du roi, nous le serons par les brigands, répétait-il de manière exaspérante.
    Paris, il est vrai, se contorsionnait comme une bête aux abois. Ici et là, des segments de rues étaient dépavés, barricadés, saignés de tranchées profondes. On forgeait des piques, des lances, des hallebardes et, dans tous les quartiers, résonnait constamment le choc du marteau sur l’enclume.
    Antoine marchait depuis des heures ; ses yeux se fermaient de fatigue, quand, vers minuit, il vit un corps se balancer au bout d’une corde. C’était un pauvre hère dont le visage, éclairé par une lumière blafarde, conservait le rictus de l’agonie. Était-ce le vent ? Il remuait encore. Et sous ses pieds déchaussés, qui ballaient dans le néant, se tenaient trois larrons à la mine lugubre.
    — Qu’est-ce donc là ? demanda froidement le chef de l’escouade.
    — Un brigand qui voulait piller une boulangerie, répondit l’un des gardiens. Le bougre, on l’a pris la main dans le sac. Quand on l’a accroché à la lanterne, il n’a même pas crié… Juste un râle. Mazette ! Ce foutu gueux devait être un agent à la solde des aristocrates.
    — Bon, ça ira, grogna le chef en poursuivant sa route d’un pas indifférent.
    Avant de s’éloigner, Antoine regarda une dernière fois le visage du pendu. Un aristocrate ? Ce teint de galeux, ce corps dévoré par la faim et la vermine ? Morbleu ! Le misérable, on l’avait tué parce qu’il n’avait rien dans le ventre…
    Il poursuivit sa ronde jusqu’à l’aube. Il ne pensait plus qu’à son devoir. On lui donna enfin congé et il rentra chez lui.
     
    Cette fois encore, la nuit fut brève. Vers les sept heures, il alla aux nouvelles. L’Hôtel de Ville ressemblait aux Petites Maisons de Charenton. Tout le monde agitait des suppliques, vociférait des menaces, criait au massacre. De temps à autre, on invectivait les électeurs et le prévôt des marchands qui tentaient vainement d’encadrer l’immense désordre. Les meubles étaient renversés et le plancher craquait de toutes parts. Cent cinquante vagabonds s’étaient endormis sur place, complètement ivres, laissant derrière eux une odeur infecte de vinasse, de sueur et d’urine. Antoine bouscula des soldats, des clercs, des mendiants et même quelques chevaliers de Saint-Louis à qui l’on venait de confier le commandement de la milice parisienne.
    Il apprit que toute la basoche du Palais et du Châtelet, ainsi que des unités de la garde française se dirigeaient vers les Invalides. Il partit les rejoindre. Quand il arriva, l’esplanade était déjà noire de monde. Après quelques palabres, le gouverneur, le vieux marquis de Sombreuil, ordonna d’ouvrir les grilles. En un tour de main, la foule se jeta dans les fossés, traversa l’hôtel puis s’engouffra dans les souterrains où plus de trente mille fusils étaient entreposés. Antoine n’avait jamais rien vu de tel. Depuis l’escalier du caveau, les assaillants se poussaient, se culbutaient, dégringolaient les uns sur les autres, s’évanouissaient même au milieu des cris de panique. Une fois la cohue dissipée, Antoine en profita pour se frayer un chemin. Il fallait faire vite. À l’extérieur, des hommes s’éloignaient déjà avec les canons attelés.
    Il mettait la main sur un fusil flambant neuf quand il sentit une résistance. C’était un enfant de onze ans qui tirait l’arme par la crosse en poussant de petits cris de colère.
    — C’est à moi, M’sieur, ce fusil est à moi ! Laissez-le moi, M’sieur…
    Loisel voulut lui botter le

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