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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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d’artisans, des tricornes galonnés de bourgeois, des chapeaux lampions de gardes-françaises et même quelques bonnets de plébéiennes.
    — Dans le plat pays, on a coupé les blés en vert pour affamer le peuple, dit l’une d’elle.
    — Les bouches à feu de Montmartre sont prêtes à foudroyer Paris, ajouta une autre.
    — Eh bien, reprit l’homme au regard sombre et à l’allure féline, allons-nous nous laisser égorger comme des moutons ?
    — Non ! Jamais ! hurla l’assistance. Aux armes ! Aux armes !
    En entendant cet appel, Antoine frissonna de tout son corps. Il était littéralement possédé par la foule, galvanisé par sa fièvre.
    La fermentation était à son comble. Certains s’armaient de gourdins. Les plus vieux et les plus sages décampaient, tandis que d’autres formaient un embryon de milice. Le temps était suspendu. À chaque instant, un garde-française ou un petit Savoyard colportait de nouvelles alarmes.
    Une information traversa soudain la place comme une traînée de poudre, transformant la colère du peuple en rage. Un jeune avocat, habitué du Palais, grimpa sur une table :
    — J’arrive de Versailles… Necker est renvoyé… Ce renvoi est le tocsin d’une Saint-Barthélemy de patriotes. Ce soir, tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champs-de-Mars pour nous égorger. Il n’y a pas un moment à perdre…
    La voix de Camille Desmoulins, qui sonnait comme les trompettes du Jugement dernier, fut aussitôt recouverte par un gigantesque tumulte. Tout tremblant de fièvre, l’avocat proposa alors aux patriotes de s’affubler d’une cocarde. La foule choisit le vert, couleur de l’espérance. Aussitôt, le Toulousain arracha une feuille de marronnier et s’en décora le couvre-chef. Il considérait avec admiration le jeune tribun aux yeux noirs et à l’expression bouillante qui arborait fièrement ses deux pistolets.
    — Aux armes, criait-on encore, aux armes !
    Un quidam proposa de se rendre au musée de cire, chez Curtius, pour exiger les bustes du duc d’Orléans et de Necker. Antoine s’y précipita avec du monde. En signe de deuil, on ceignit les deux idoles cireuses d’un crêpe noir avant de les ficher sur des piques et c’est dans cet appareil qu’un gigantesque cortège s’ébranla à travers les rues de la capitale. On criait, on chantait, la foule grossissait à chaque instant ; depuis les fenêtres, qui s’ouvraient au passage des insurgés, éclatait un tonnerre de vivats et d’applaudissements ; les fracs des bourgeois sautillaient aux côtés des guenilles ; un garde-française roulait son tambour tandis que des énergumènes brandissaient des épées, des haches et des bâtons ferrés. La présence vociférante de la foule donna au Toulousain une impression d’impunité. Mais lorsqu’il arriva sur la place Louis-XV, il eut peur pour la première fois. Le spectacle était imposant. Une quarantaine de dragons formaient une ligne depuis la statue équestre jusqu’à la rue Royale, comme pour accueillir les insurgés par une haie d’honneur. Derrière eux, près des Champs-Élysées, six cents gardes suisses, munis de leurs canons, attendaient l’arme au pied.
    Les Parisiens achevaient leur promenade dominicale et se pressaient en famille à la sortie du bac des Invalides, du Cours-la-Reine et de l’avenue de Neuilly. D’autres curieux, attirés par la rumeur publique, s’entretenaient pacifiquement avec les soldats, les interrogeaient, touchaient les rênes de leurs chevaux, les invitaient à boire. Mais la situation s’envenima rapidement. Les milliers de manifestants s’engouffrèrent dans la place comme une déferlante. En quelques instants, la confusion fut totale. Des émeutiers se saisirent des gravois d’un chantier qu’ils jetèrent sur la troupe. Antoine crut que les cavaliers allaient riposter. Il ignorait que le roi avait ordonné de ménager le sang français.
    On entendit alors un fracas assourdissant : trois cents dragons traversèrent la place au galop tout en pétaradant. Du côté de la Seine, un détachement de hussards, renforcé par des chasseurs de Provence, manœuvra à son tour jusqu’à la statue de Louis XV, achevant ainsi de fermer la nasse. Puis, des cavaliers du Royal-Cravate vinrent se ranger face au Tuileries, obligeant la foule à refluer en désordre dans le jardin. Seuls restaient à l’extérieur Antoine Loisel et une poignée d’émeutiers.
    Un grondement sourd leur

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