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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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fit tourner la tête. Un détachement du Royal-Allemand se positionna et mit sabre au clair. Pendant quelques secondes, il y eut un silence de mort. Puis tout bascula. Un trompette sonna la charge ; les cavaliers s’élancèrent, passèrent le pont tournant, escaladèrent une barricade, et se répandirent dans le jardin. Pris de panique, les Parisiens, les femmes, les enfants s’égaillèrent dans tous les sens ; certains se jetèrent dans les fossés, d’autres se ruèrent sur les plateformes d’où ils continuèrent de lapider la troupe. Les chevaux piaffaient, se cabraient, hennissaient sous une volée de projectiles. Un cavalier, touché par une pierre, se tenait douloureusement le visage. Antoine se précipita sur la rampe et se fraya un chemin jusqu’à la terrasse des Feuillants. Il voulut participer à la mêlée, mais se retint.
    En contrebas, des émeutiers tentaient de désarçonner un officier. « C’est le prince de Lambesc ! » hurla un révolté à l’oreille du Toulousain. Le prince, monté sur un cheval gris, sanglé dans un uniforme bleu galonné d’argent, portait le bonnet d’ourson de son régiment. Ses épaules étaient larges, son visage un peu vérolé et, malgré la confusion, il conservait le port altier d’un officier du roi. Il fit caracoler son cheval pour se dégager tout en espadonnant de son sabre. À son commandement, l’escadron fit une décharge de mousqueterie. La nuit tombait, mais le peintre vit le nuage de fumée surplomber les cavaliers. Ils venaient de tirer en l’air.
    — Fermez le pont tournant ! cria un citoyen.
    Pour éviter d’être pris au piège, le prince de Lambesc asséna un coup de sabre sur la tête d’un sexagénaire qui tenait la hampe du pont. L’homme s’effondra et les cavaliers sortirent de la souricière au grand trop.
     
    Cet amuse-bouche avait mis la foule en appétit. L’excitation atteignait des sommets. On se précipita sur le blessé, tout en criant à l’assassinat. Le sang coulait de sa tête et lui baignait le visage, mais il n’avait qu’une estafilade. Un autre, disait-on, avait été touché au bas-ventre par un coup de pistolet et se mourait dans le carrosse qui l’emportait.
    Loisel conduisit le blessé jusqu’aux Feuillants, puis sortit des Tuileries par la porte du Manège. Il erra un moment quand, près de la place Vendôme, il rencontra un groupe de gardes-françaises qui se dirigeaient vers le boulevard.
    — On se bat devant notre dépôt, à la Chaussée d’Antin, dit l’un d’eux. Le peuple a mis le feu à la barrière blanche ; un homme a été assassiné par la troupe rue Saint-Lazare. Dame ! J’y étais. La balle lui a fait un trou à fourrer le doigt !
    — Les scélérats ! Je viens avec vous, proposa Antoine, qui voulait se jeter gaiement dans l’abîme.
    L’un des gardes-françaises, un bas-officier, le dévisagea un court instant, avant de lui demander.
    — Tu sais te servir d’une arme ?
    — J’apprendrai.
    Le petit groupe éclata de rire.
    — Allons, pressons-nous, nous n’avons pas le temps, rugit le bas-officier.
    Puis, se tournant rapidement vers Antoine.
    — Toi, l’ami, prends donc ce pistolet et essaie de ne pas tuer un des nôtres ou il t’en cuira.
    Quelle preuve de confiance, pensa Loisel ! Fier comme un paon, il courut derrière les habits bleus des gardes-françaises. La peur et l’excitation, rythmées par la course, les cris, les détonations, le bruit de son propre cœur qui battait la chamade, tout le rendait ivre de joie.
    Ils arrivèrent en un clin d’œil à la Chaussée d’Antin. Antoine vit alors un détachement de gardes-françaises se dresser contre un piquet de cavaliers du Royal-Allemand. La situation était ahurissante. À ce moment précis, il comprit réellement que quelque chose d’extraordinaire était en train de se produire. Il savait que les gardes-françaises, ces soldats d’élite, ces enfants gâtés de la maison militaire du roi, partageaient depuis longtemps la vie quotidienne des Parisiens. Mais le fait de les voir se dresser crânement contre d’autres soldats de l’armée royale le stupéfia. Il ne s’agissait plus désormais d’une simple émeute, comme la monarchie en avait connue tant. Ce que la hardiesse d’une poignée de députés avait permis, au Jeu de paume, des gardes-françaises le renouvelaient, à Paris, munis de leurs armes et de leur courage.
    Les mutins firent un feu roulant et trois cavaliers mordirent

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